Une société protectrice des animaux en Thiérache au XIXe siècle

E-dépôt 156
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De la fondation de la Société protectrice des animaux (SPA) en 1845, à la loi Grammont quelques années plus tard, la prise en compte de la souffrance animale s’inscrit dans une volonté de sensibiliser les classes populaires, en stigmatisant la cruauté qui s’exprime au travers de jeux comme le tir à l’oie, les combats de coqs ou de chiens, particulièrement prisés lors des fêtes villageoises. L’école est le lieu idéal pour éduquer de nouvelles générations à porter un autre regard sur les bêtes.  Cette requalification de jeux populaires en actions violentes est aussi l’expression d’une certaine peur sociale. La protection de l’animal, basée sur la morale et son utilité comme bien de production, est également une valeur républicaine.

 

En 1879, à Froidestrées, sont rédigés les statuts d’une étonnante société protectrice des animaux, approuvée par l’Inspecteur d’Académie. L’auteur, l’instituteur en titre de la commune, Jules Adolphe DARTOIS. Né à Cessières le 7 août 1844, il est nommé à Froidestrées en 1876 et reste en poste jusqu’en 1881-1882. Il décédera à l’hôpital de Prémontré le 4 juillet 1901.

 

Froidestrées est une commune rurale de Thiérache, traversée par la route de Flandre (aujourd’hui Nationale 2). La Thiérache est alors en pleine mutation avec l’apparition du paysage de bocages qu’on lui connait aujourd’hui. Le relief, le faible rendement des terres, le parcellaire très morcelé, sont autant de freins à la pénétration du machinisme, et les prix élevés des produits de l’herbage hâtent le passage de la culture à l’élevage.

L’omniprésence de l’animal dans la vie quotidienne y est très marquée : « presque chaque ménage possède une ou plusieurs vaches » « on élève des chevaux, des bêtes à cornes, des porcs, peu de chèvres et d’abeilles, pas de mulets ».

 

En cela Froidestrées ne déroge pas à la tendance qui se dessine dans cette deuxième moitié du XIXe siècle : l’animal est présent partout dans les campagnes, mais aussi dans les villes (abattoirs, utilisation des chevaux, mais aussi des chiens pour tracter charretons et charrettes à bras…).

Cette grande familiarité avec le monde animal est renforcée par la précocité des relations puisqu’on confie aux enfants le soin de garder les bêtes.

Cette proximité n’induit pas de manière évidente des relations plus affectives, l’animal étant avant tout considéré sous l’angle de la propriété : « la personne qui blesse ou tue un animal n’est punie que si l’acte a lieu sur la propriété d’autrui »

Poussée par une élite citadine, la Société protectrice des animaux (SPA) est fondée en 1845 par le docteur Étienne PARISET. Elle n’est pas la seule société de ce type créée en France, sous l’impulsion d’un mouvement plus largement européen, et d’un modèle anglais très militant. En 1850 est adoptée la loi portée par le général de Grammont, dite loi Grammont, qui condamne les mauvais traitements abusifs réalisés en public sur les animaux domestiques.

Directement visée, une paysannerie jugée violente, aux jeux cruels et barbares « tels que les tirs à l’oie, les combats de coq, les tirs aux pigeons, et autres spectacles où la douleur et la mort d’êtres innocents sont offertes en divertissements » (art. 9 des statuts).

La Picardie est alors renommée pour le tir à l’oie, qui consiste à suspendre l’animal au bout d’une corde, le vainqueur étant celui qui parvient à lui trancher la tête avec un bâton ou un couteau…

Quant au tir aux pigeons cité par Jules DARTOIS, il consistait à enfermer des pigeons dans une cage pour que seule leur tête émerge et serve de cible aux cailloux.

La violence de ces pratiques traditionnelles trouve encore un écho aujourd’hui dans certaines fêtes de villages où le tir à l’oie reste pratiqué. Il est vrai néanmoins que la pauvre bête est déjà morte lorsqu’on l’attache au bout de la corde1

La création d’une société de protection des animaux à  Froidestrées n’obéit pourtant pas au hasard de la nomination d’un instituteur plus sensible que les autres à cette cause : déclarée d’utilité publique dès 1860, la SPA crée des concours qui récompensent notamment les instituteurs se faisant les porte-paroles de ses valeurs. La protection des animaux accompagne la généralisation de l’enseignement primaire : dès 1876, la création de sociétés scolaires de protection est encouragée et l’affichage de la loi Grammont dans les écoles devient obligatoire en 1881. Les manuels scolaires de la fin du XIXe présentent les animaux comme des êtres sensibles et non plus uniquement comme des moyens de production.

On demande donc aux enfants d’être « justes, bons et compatissants », le développement du sens moral s’élèverait contre la cruauté des classes populaires. La protection des animaux est alors un outil qui canalise cette violence. Et tout comme chaque adhérent de la SPA est invité à faire lui-même la police, autant par la prévention (morale adressée aux contrevenants), que par la répression (des lettres de dénonciation type sont distribuées aux adhérents), les enfants de Froidestrées sont invités à adresser « une réprimande sévère », à « ramener à de meilleurs sentiments » et si cela ne suffit pas, une honte publique est infligée par l’inscription des noms « sur le tableau des délinquants ».

Les statuts de la société font également référence aux oiseaux et petits animaux utiles.

Le XIXe voit en effet se développer un véritable entomophobie, en même temps qu’une passion pour les oiseaux, et particulièrement les insectivores. On les protège dans un but essentiellement utilitaire, pour préserver les cultures des insectes ravageurs. Particulièrement visés parmi les coupables, les enfants, qui font l’école buissonnière, dénichent les oisillons et détruisent les couvées. À la dimension économique s’ajoute une nouvelle fois la dimension morale : ces enfants qui apprennent tôt la cruauté deviendront des adultes cruels envers leurs semblables, d’où la mise en place de programmes pédagogiques pour respecter les oiseaux.

Une nouvelle fois la Grande-Bretagne est pionnière, avec la création, en 1867, de la première société de protection des oiseaux. La création de la Ligue de protection des Oiseaux (LPO) en France date quant à elle de 1912.

 

Loin d’être un texte pionnier ou novateur, les statuts de la société protectrice des animaux et des oiseaux utiles de Froidestrées s’inscrivent dans un mouvement de régulation morale qui s’appuie sur l’école de la République, dans le contexte de l’adoption des lois Ferry.

La loi Grammont n’est abrogée qu’en 1959, remplacée par un décret où il n’est plus nécessaire que les mauvais traitements aient eu lieu en public pour être punis.

Le débat sur la maltraitance est loin d’être clos. Le 30 novembre 2021 est promulguée la loi visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes. Elle ouvre la voie à la prise en compte, cette fois, de la souffrance psychique de l’animal.

 

Sources

Archives communales de Froidestrées, E-dépôt 156 - AD02

BALDIN Damien, Histoire des animaux domestiques XIXe-XXe siècle, Paris, Seuil, 2014.

Le guetteur de Saint-Quentin et de l’Aisne, 4 octobre 1876. Gallica

Monographie communale de Froidestrées (1884), 13T207 - AD02

Code pénal, 1810, articles 452, 453, 454

(1) Qu'est-ce que le "tir à l'oie", cette tradition où l'on frappe une volaille morte, dénoncée par les associations ? - midilibre.fr

https://www.terascia.com/la-naissance-du-bocage-de-thierache