Mort de la végétation, végatation de la mort

Printemps, saison de la mort qui pousse

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« Printemps, saisons de la mort qui pousse et de l’évidence des cycles brisés. Saisons des gelées tardives et des boutures avortées ; saisons de la vie qui ne se montre plus, saisons de la sève qui ne monte plus. Saisons du cafard, du découragement, de la solitude et de la détresse. Saisons du manque de famille. Printemps, saisons stériles. Visions des arbres arrachés, des troncs morts. Visions d’herbe sans herbe, de bourgeons sans bourgeons et de fleurs sans fleurs. Saison des bulbes empoisonnés. Saisons de la guerre totale. Saisons des amours sans amour. Paysages lunaires. Visions d’astre mort. Saisons des offensives inutiles et sanglantes. Saisons des mutineries stériles et désespérées. Saisons des sources étranges ; saisons des tombes inondées. Saisons des gaz et des poisons. Nature avide et carnivore. Ecluses rouillées. Corps jeunes et mal rasés qui pourrissent sous le gazon frais, avec pour seul horizon l’unité mathématique des croix qui semblent dessiner dans l’enceinte des cimetières militaires les contours de ces jeux d’enfants qui servaient à tuer le temps, dans les écoles communales aujourd’hui désertées (…). »

Jean-Pierre Guéno, Paroles de Poilus, Lettres et carnets du front 1914-1918, introduction du chap. 4, Paris, Librio- Flammarion, 1998, p. 97.

 

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Dimanche 14 février 1915

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« Dimanche 14 février 1915

 

Cher ami

 

Quand nous sommes arrivés par ici au mois de novembre, cette plaine était alors magnifique avec ses champs à perte de vue, pleins de betteraves, parsemés de riches fermes et jalonnés de meules de blé. Maintenant, c’est le pays de la mort, tous ces champs sont bouleversés, piétinés, les fermes sont brûlées ou en ruine et une autre végétation est née : ce sont de petits monticules surmontés d’une croix ou simplement d’une bouteille renversée dans laquelle on a placé les papiers de celui qui dort là (…). »

Michel Taupiac , Brigadier 58e régiment 48e batterie 68e secteur, cité dans Paroles de Poilus, Lettres et carnets du front 1914-1918,  Paris, Librio- Flammarion, 1998, p. 90. (Michel Taupiac avait 29 ans en 1914, il était le fils d’ouvriers agricoles du Tarn-et-Garonne. Après la guerre, il devint pêcheur sur la Garonne, mais aussi herboriste et guérisseur à ses heures).

 

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4 Mars 1918

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« 4 mars 1918

 

Pendant mon séjour au nouveau P.C., je fais souvent l’ascension de la colline la plus élevée du bois des Buttes, d’où l’on découvre tout le champ de bataille d’avril 1917. C’est l’une des vues les plus émouvantes du front, et maintenant que l’excursion peut être effectuée sans danger, je la conseille vivement à tous ceux qui ont entrepris le pieux pèlerinage, de visiter les lieux où toute une génération a souffert et s’est sacrifiée pour le salut et l’avenir du pays.

 

Le sol est criblé de trous d’obus ou a été entièrement retourné par les crapouillots. On marche sur des monceaux de ferrailles, des grenades, des ailettes de torpilles. Au sommet de la Butte, un petit monument blanc attire l’attention. C’est un observatoire en ciment armé, où l’observateur vissé sur son siège est hissé du fond du souterrain, creusé au bas de la colline, par un ascenseur. De là-haut, la vue est illimitée, maintenant que tous les arbres ont été rasés. »

 

Emile Carlier, Mort ? Pas encore ! Mes souvenirs 1914-1918, par un ancien soldat du 127e R.I., Douai, Société archéologique de Douai, 1993, p. 89-91.

 

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Vrai temps des morts

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« Vrai temps des Morts : forêt brumeuse, toutes les branches pleurent,  les arbres dans les clairières semblent des fantômes mauves et blancs».

Paul Tuffrau, 1914-1918, quatre années sur le font : carnets d’un combattant, Paris, Imago, 1998, p. 171 (à propos de Beaurieux, le 2 nov. 1917)

 

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Le bois de Beaux-Marais

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« Entre Craonne et la ferme du Temple, le bois de Beaux-Marais avec ses arbres squelettiques n’est-il pas dans l’univers le coin le plus désolé, le plus recueilli ? »

Lucien Detrez, L’hécatombe sacrée, Lille, Imprimerie Desclée, 1921, p. 437

 

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Plus d'arbres

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« Plus d’arbres ; les moignons eux-mêmes ont disparus ; le désert commence ; l’invasion barbare a passé ».

Gabriel Hanoteaux, L’Aisne pendant la Grande Guerre, Paris, Alcan, 1919

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Un grand ravin

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« Un grand ravin se creusait là, ses pentes recouvertes d’arbres dont la plupart étaient réduits à un moignon, ou bien déracinés et couchés de leur long dans les broussailles. Les gaz en avaient empoisonné beaucoup, tous les sapins étaient morts ; mais quelques acacias et les ormes, plus robustes, avaient résisté, et l’on voyait des bourgeons naître sur leurs branches blessées».

Roland Dorgelès, Le réveil des morts, Paris, Albin Michel, 1923, p. 29.

 

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Le décor de la guerre

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« Le décor saisissant de la guerre n’avait pas changé. Les réseaux barbelés, en tous sens, traçaient de larges allées couleur de rouille ; on en comptait dix, quinze, sur le plateau inculte, devant les tranchées clayonnées et le long des boyaux. Cà et là traînaient de grosses tôles, ajourées par les éclats d’obus et tordues comme du carton. Toute une glane hétéroclite jonchait le terrain : des bidons, des outils, des « queues de cochon » en tas, une roue de charrette… Plus loin rampait un long tuyau pour les gaz, pareil à un serpent. Les trous d’obus se rejoignaient et des plus profonds avait surgi le cran, la marne blanche du sous-sol. Un grand entonnoir, à demi rempli d’eau, regagnait le ciel. Et sur le bord, s’y reflétant, une croix. »

 Ibid., p. 23-24.

 

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Les pays aplatis

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« Certes, pendant ses deux ans de front, il avait vu bien des ruines, de l’Artois à Verdun, et il savait en venant qu’il ne retrouverait pas grand’chose de la propriété, mais, malgré tout, il était stupéfait que cela ressemblât si peu aux photographies qu’il en connaissait. Jusqu’au paysage qui n’était plus le même, les coteaux mis à nu, sans vignes, sans arbres, sans maisons.

 

- Vous venez dans les pays aplatis, lui avait dit un employé à la gare de Soissons.

 

C’était bien cela : aplatis. Le village, la contrée n’avait plus de hauteur, le pilon de la guerre avait tout enfoncé dans le sol.»

 

Ibid., p. 12-13.

 

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Au Chemin des Dames

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« [Au Chemin des Dames] (…) le terrain, même remis en culture, a des accidents de lignes, des brisures, des affaissements, signes des mutilations anciennes (…). On voit, au bout des champs bordant la route, des amas de débris exhumés par le labour, éclats d’obus, obus non éclatés, casques, masques, armes tordues ou brisées, que l’autorité militaire enlèvera quand elle en trouvera le loisir (…). Il faudra du temps ici pour effacer la guerre. »

L’Illustration, n° 4770, 4 août 1934, p. 448.

 

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Zone rouge

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« Rien n’arrivait à décourager le nouveau fermier. Lorsqu’on l’avait vu remettre en culture les champs de la zone rouge, -cette zone que l’administration considérait comme morte, -les fonctionnaires du Génie rural étaient venus pour le chicaner.

- Vous n’aurez pas un sou de crédit pour ces travaux-là. Il y a bien assez d’ouvrage ailleurs.

Les instructions du ministère sont formelles…

Et l’un avait même ajouté :

- Nous avons eu assez de mal comme ça à délimiter une zone rouge.

Didier Roger ne s’était pas fâché. Un peu moqueur, il avait seulement demandé au plus malveillant :

- Vous n’exigerez pas que je remette les champs dans l’état où je les ai pris, au moins ? C’est surtout à cause des obus que ça m’ennuierait.

Puis, s’adressant à l’autre :

- Croyez-moi, monsieur, votre zone rouge va fondre comme du sucre. Avant dix ans il n’en restera plus un seul arpent. Alors, autant s’y mettre tout de suite. »

Roland Dorgelès, Le réveil des morts, Paris : Albin Michel, 1923, p. 25-26.

 

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