La nature dans les combats

La nature dans l'Enfer des hommes

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« L’observation des paysages sert, d’abord, à faire la guerre : une grande partie des mouvements tactiques dépend justement de ces espaces masqués pour se dissimuler à la vue ou au feu de l’ennemi, mais aussi pour pouvoir le surprendre ; à partir du moment où les armes à feu ont une portée suffisante (…) une des manœuvres essentielles a été de défiler ses troupes derrière un repli de terrain ou, faute de mieux, un bosquet, une haie, c’est-à-dire dans un espace masqué à la vue de l’ennemi. Pour l’officier, il s’agit d’utiliser au mieux le terrain en ayant une vision double du paysage, puisqu’il lui faut tout à la fois voir et se dissimuler, atteindre et se protéger ; il lui faut donc non seulement observer le paysage, repérer les espaces masqués à partir des positions qu’il tient, mais aussi, inversement, se représenter le paysage que voit l’ennemi à partir des positions qu’il occupe. L’importance tactique d’une position tient à la vue du paysage qu’on peut avoir de ces endroits : plus l’altitude relative est grande par rapport à l’espace tenu par l’ennemi, plus on y verra loin et plus les espaces défilés masqués sont restreints et moins l’ennemi pourra se protéger. Il n’y a évidemment pas que l’altitude relative qui compte, mais aussi la configuration du relief. »

Yves Lacoste, « A quoi sert le paysage ? Qu’est-ce qu’un beau paysage ? », Hérodote, n° 7, 3e trimestre 1977, p. 13.

 

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Le soldat de la guerre

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« Le soldat de la guerre n’a connu du front, en général, que les secteurs ou les sous-secteurs très limités occupés successivement par sa division, son régiment, sa compagnie.(…) Quelques kilomètres de boyaux sur tous les fronts, une longue route crayeuse de Champagne, deux ou trois pistes ravinées dans les marécages de l’Yser, un village mi-souterrain d’abris forestiers dans l’Argonne des bois ou dans les sapins de Lorraine, voilà ce qui fut pour beaucoup des survivants d’aujourd’hui tout le paysage, tout le terrain de la vaste guerre. »

Albéric Cahuet, « Le front après la guerre ou un pèlerinage en auto-mail », L’Illustration, 1920, p. 365.

 

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Un craquement colossal

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« Parfois un craquement colossal prolonge l’explosion d’un obus. Puis c’est un frémissement des cimes, un crépitement de branches qui cassent : et l’on voit un des géants restés debout par la clairière s’incliner lentement vers le sol, accélérer sa chute et s’abattre de toute sa hauteur, dans un gémissement d’air fouetté. Et lorsque enfin il est tombé en travers des taillis écrasés, immense cadavre allongé dans les herbes, il semble qu’un remous énorme se creuse à la place même où s’épanouissait sa ramure, un remous, dans quoi tourbillonnent des myriades de choses légères, plumes, brindilles, feuilles d’or pâle ou de cuivre, pêle-mêle dans un nuage de poussière dont parvient jusqu’à nous l’âcre senteur de tan. »

 Maurice Genevoix, Nuits de guerre, 1ère éd. Paris, Flammarion, 1916, réed. dans : Ceux de 14, Paris, Omnibus, 1998, p. 200.

 

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La forêt de Vauclair

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« La forêt de Vauclair, très clairsemée, masque à peine l’ennemi. Terrain sableux, jonché de branches brisées, avec, un peu partout, des abris détruits par les Boches, sautés ou effondrés ».

Paul Tuffrau, 1914-1918, quatre années sur le font : carnets d’un combattant, Paris, Imago, 1998, p. 172 (à propos de la forêt de Vauclair, le 4 nov. 1917).

 

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Les batteries ont haché les taillis et les bois

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« Les batteries ont depuis huit jours haché les taillis et les bois dont le rideau cachait les blockhaus allemands. Les bois de Chevreux et de Beaux-Marais sont, en revanche, battus par l’artillerie allemande »

Lucien Detrez, L’hécatombe sacrée, Lille, imprimerie Desclée, 1921, p. 453

 

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Des troncs d'arbres déracinés

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« Des troncs d’arbres déracinés et déchiquetés traversaient l’air et rendaient presque impossible toute progression dans cet amas interminable de fourrés et de fil de fer. Tout était labouré par des entonnoirs aussi larges que profonds : tout le temps on tombait dedans, la tête en avant, et on perdait tout sens d’orientation dans l’obscurité et le fracas démentiel. Aucune sentinelle en vue. Soudainement apparaissait devant moi un tronc d’arbre, illuminé fantomatiquement par les éclairs et qui portait à son extrémité effilée une pancarte : « interdiction de couper du bois ».

Lieutenant V. Seebach, 3e régiment de grenadiers de la garde, cité par Gérard Lachaux, 1917, la bataille du Chemin des Dames, s.l., CHAV, 1997, p. 152.

 

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Les arbres montrent leurs blessures

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« Alors, et presque ensemble, tous les arbres me montrent leurs blessures, leur chair poignardée par les balles, lacérées par les éclats d’obus. Les trous de tirailleurs se rapprochent, se relient en tranchées hâtives que l’hiver a laissées nues. Les Boches ont dépassé la crête : cette tranchée fut à eux, où se rouillent les chargeurs. Les arbres, lorsque je me retourne, sont blessés des deux côtés ».

Maurice Genevoix, La boue, 1ère éd. Paris, Flammarion, 1921, réed. dans : Ceux de 14, Paris, Omnibus, 1998, pp. 468-469.

 

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Le bois semble mort

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« Le bois semble mort. Et pourtant les hommes s’épient à travers les broussailles où sont répandues à profusion des ombres fantastiques : dans les boyaux qui circulent parmi ce fouillis, entre les racines mise à nu, sous les troncs abattus, le grand drame se poursuit, accru par les angoisses nocturnes et l’horreur religieuse des bois […]. Mauvais coin s’il en fut. A plusieurs reprises, des Boches déséquipés, mains et visages noircis comme des démons, sont venus, en rampant à travers des branchages morts, jeter des grenades. Tout est inquiétant ici. On peut être attaqué de tous les côtés, même derrière. Et les hommes qui veillent ont les nerfs tendus. »

Paul Tuffrau, cité par Georges Charmaille, Le massif du Chemin des Dames au cours de la Grande Guerre : recueil de rapports sur les combats au pied du massif entre 1914 et 1918, Sarreguemines, Pierron, 1998, p. 27, sans localisation ni date.

 

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Ils n'ont pas duré les villages

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« Malheureux qu’ils n’ont pas duré les villages…Au bout d’un mois, dans ce canton-là, il n’y en avait déjà plus. Les forêts, on a tiré dessus aussi, au canon. Elles n’ont pas existé huit jours les forêts. Ca fait encore des beaux feux les forêts, mais ça dure à peine. »

Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Denoël et Steele, 1932, p. 39.

 

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Le bois des Buttes

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« 8 février 1918.

 

Le bois des Buttes est célèbre dans tout le secteur du Chemin des Dames. Il se compose de trois buttes, boisées, sises le long de la route de Pontavert à la Ville-aux-Bois. Les Boches l’ont possédé dans leurs lignes jusqu’au 20 avril 1917, et l’ont repris lors de leur formidable offensive le 29 mai 1918. Pendant leur première occupation, ils ont construit sous les trois buttes, une série de tunnels communiquant entre eux et capables d’abriter des régiments entiers. Comme travail, c’est absolument merveilleux et ce sera plus tard une des grandes curiosités de l’après-guerre. Pas une pierre n’est entrée dans la construction de ce vaste souterrain, dont l’allée principale, la sape génératrice, a 800 mètres de long. Les arbres du bois, maintenant dépouillé de sa parure, ont constitué les uniques matériaux […].

 

En sortant du tunnel, on trouve immédiatement la route de Pontavert à la Ville-aux-Bois. Pontavert est à 3 kilomètres environ. La Ville-aux-Bois à 500 mètres. La route longe le bois des Buttes à gauche, le bois des Boches à droite. Le bois des Buttes n’existe plus que de souvenirs. La plupart des arbres ont servi à la construction du tunnel, le reste a été fauché par nos crapouillots, lors de l’offensive du 16 avril 1917. Entre la route et le bois des Boches, on voit encore les anciennes tranchées allemandes au milieu desquelles émergent des blockhaus pour mitrailleuses, des abris en béton armé. Le bois des Boches a encore l’apparence d’un bois.

Emile Carlier, Mort ? Pas encore ! Mes souvenirs 1914-1918, par un ancien soldat du 127e R.I., Douai, Société archéologique de Douai, 1993, p. 89-91.

 

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Destructions volontaires

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« Or, on sait ce que les bandits ont fait de nos arbres, de tous nos arbres : non seulement ils les ont coupés, non seulement ils les ont sciés à un mètre du sol de façon qu’ils s’écroulassent au premier vent, non seulement ils se sont acharnés sur un pommier isolé, sur un sapin de pelouse, sur un if de jardin, mais, en plus, ils ont multiplié, partout, une opération qui demandait à la fois une application et un raffinement de sauvages : prélevant, sur chaque pommier, un anneau d’écorce, ils ont fait en sorte que l’arbre resté debout soit ainsi,-toutes apparences, sauves,-frappé à mort. Il ne peut s’agir, ici, d’un intérêt militaire quelconque ; ce n’est même pas la destruction brutale dans le dessein de nuire, c’est le scalpe appliqué à la nature. Je ne pense pas qu’un sauvage ait jamais fait cela…Nos arbres écorchés : c’est à pleurer ! »

Gabriel Hanoteaux, L’Aisne pendant la Grande Guerre, Paris, Alcan, 1919

 

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Dans le verger

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« Dans le verger, mangé par le chiendent, il ne restait que des squelettes de pommiers, tout noircis, les troncs de certains hérissés d’éclats d’obus, comme les piquants d’un cactus. Au pied de chaque arbre on avait fait, à la hache, une profonde entaille en biseau, ou bien soigneusement enlevé toute couronne d’écorce. D’autres étaient abattus.

 

- « Vous voyez, montra le cultivateur à son ami, c’est le travail des Boches au moment du repli, en 17. Ils fuyaient, ils devaient être crevés de fatigue, mais ils ont encore pris le temps de détruire, sans raison, pour le plaisir ».

 

Roland Dorgelès, Le réveil des morts, Paris : Albin Michel, 1923, p. 29

 

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Ravin de Sorny

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« Ravin de Sorny, 19 mars 1918 […].

 

Clamecy, Braye, Crouy, Bucy… Partout les arbres sont sciés, quelques-uns renversés, tenant encore à la souche par un lambeau plié d’écorce ; là, l’œuvre de destruction est patente et avouée. Mais où elle est perfide et cruelle, c’est lorsque l’arbre est demeuré debout, déjà bourgeonnant, et qu’on s’aperçoit brusquement qu’il est condamné à mort, une bague d’écorce ayant été levé à coup de hache. Ils n’iront pas jusqu’à la fructification, même la floraison. Et ils sont innombrables, ces vergers qui semblent nous promettre un printemps fleuri, et qui sont déjà en agonie. Partout la bague cruelle a été levée en quelques coups de hache. On en a pansé certains, comme des blessés, et le pansement est maintenu par une toile ligaturée de fil de fer. Mais les autres, encore debout et mourants, nous font sentir davantage ce que nous perdons, la consolation, l’espérance, la beauté. Que deviendront ces riches vallons quand les vergers seront morts ? »

Paul Tuffreau, 1914-1918, quatre années sur le front. Carnets d’un combattant, Paris, Imago, 1998, p. 187.

 

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