La « DICKE BERTHA »

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Dès la fin de l’année 1920, plusieurs lieux marquants de la Grande Guerre retiennent l’attention des autorités nationales. Elles souhaitent les préserver pour la mémoire collective en les classant comme monuments historiques. Ainsi, le 28 avril 1922, un arrêté ministériel traite le cas de la commune de Crépy et plus particulièrement celui d’un terrain appartenant à monsieur Schivre, situé à deux kilomètres au nord de cette localité.

 

En effet, durant la guerre, cette position a été choisie par les Allemands pour y établir une batterie d’artillerie. Selon notre document officiel, il s’agit ni plus ni moins de la célèbre « pièce allemande à longue portée dite la Bertha » qui tirait sur Paris. Le site devient alors rapidement une destination de choix pour les touristes cherchant à en savoir plus sur ce type d’armement allemand. Pourtant, contrairement à la légende, les Grosses Bertha n’ont jamais tiré sur Paris.

 

Même si c’est bien à Crépy que les Allemands ont aménagé les premiers emplacements, il s’agissait en réalité d’une position destinée à accueillir une pièce d’artillerie de 210 mm ayant une portée de 120 km. En 1918, elle tire près de 367 obus sur la capitale, terrifiant ainsi sa population durant 46 jours : 256 personnes trouvent la mort et 620 autres sont blessées. Ces pièces d’artillerie possèdent plusieurs noms : Pariser Kanonen, Langer Friedrich ou encore Wilhelmsrohr. À aucun moment, les artilleurs allemands ne les surnomment les Dicke Bertha (Grosses Bertha).

 

Quelles sont alors ces fameusesGrosses Bertha ? Ont-elles également tiré sur la capitale ? Les Axonais pointent également le doigt vers une autre batterie allemande située cette fois-ci à Coucy-le-Château. Ces pièces correspondent à de gros calibre et présentent des installations similaires à celles des Pariser Kanonen favorisant cette confusion. Mais, encore une fois, la piste des Grosses Bertha nous échappe puisqu’il s’agissait en réalité de SKL/45 de 380 mm. Ces impressionnants canons n’ont cependant jamais tiré sur Paris car leur portée maximale était de 45 km. Surtout que les premiers exemplaires terrestres[1] furent produits en 1915 et qu’ils n’ont donc pas profité de l’avancée allemande de 1914 qui s’est approchée à une vingtaine de kilomètres de Paris.

 

Comme le Pariser Kanonen, la Dicke Bertha entre également dans la légende. M42 de son vrai nom, la Grosse Bertha est un imposant obusier de 420 mm destiné à venir à bout des ouvrages défensifs les plus modernes de son époque. C’est ainsi que les Allemands, irrités par la résistance des Belges, décident d’en finir une bonne fois pour toute avec les forts de Liège dès le 12 août 1914. Ensuite, les forts de Namur, d’Anvers, de Maubeuge ou encore de Manonviller subissent les effets dévastateurs de ces grosses pièces d’artillerie. Avec leur puissance de feu et leur courte portée (12 km), ce type d’obusier est destiné à mener des sièges de position fortifiée et non à bombarder des objectifs situés à de longue distance.

 

Les projectiles des Grosses Bertha n’ont donc jamais bombardé Paris. Cependant, ces canons furent les premiers à être utilisés sur le front occidental marquant ainsi les esprits des contemporains. Par la suite, les Francophones prirent l’habitude de nommer toutes les pièces allemandes de gros calibre « Grosse Bertha », ce qui rend parfois difficile l’analyse de certaines archives. Cette confusion s’est surtout imposée aux canons de 210 mm qui provoquèrent un grand choc émotionnel à l’époque au point d’être encore aujourd’hui confondus avec les obusiers M42.

 

Toutefois, les Pariser Kanonen, les SKL/45 et les M42 sont des pièces d’artillerie nettement distinctes les unes des autres. Elles ont cependant un point commun, celui d’être des inventions de l’ingénieur Rausenberger et d’être produites par les industries Krupp dont la dirigeante n’était autre que Bertha Krupp. D’où le surnom des M42.



[1]. Le SKL/45 existe depuis 1913, mais il équipait seulement les cuirassés de la flotte impériale.