Croquis d’audience du procès des dénonciateurs de Laon, 1919

Maître Moro Giafferi (Arch. Dép. Aisne, 69 Fi 2)
Maître Delmont (Arch. Dép. Aisne, 69 Fi 7)
Emile Thomas (Arch. Dép. Aisne, 69 Fi 8)
Non identifié (Arch. Dép. Aisne, 69 Fi 4)

Voir toutes les images (4)

« Frappez sans faiblesse ceux que vous jugerez coupables (…) et débarrassez-nous de cette fange et de cette ordure… ». Prononcés le 28 juillet 1919, ce sont par ces mots que le lieutenant Jeanningros conclut son réquisitoire à l’encontre des « dénonciateurs de Laon » lors de leur procès. Pour entamer la reconstruction morale de ceux qui ont subi l’occupation, « une répression impitoyable s’impose car il en va de la réputation et de la dignité des populations du Nord de ne pas être confondues avec cette poignée de misérables ». [1]

Les croquis présentés ici [2] ont été réalisés par l’artiste Jean Dorville au cours des audiences du procès des dénonciateurs de Laon (également appelé procès des dénonciateurs du Nord, de la vallée de l’Aisne ou encore procès Thomas et Toqué) qui se tient à l’été 1919. Ils nous plongent dans un sombre épisode de l’entre-deux-guerres, celui de l’épuration qui suit la Première Guerre mondiale. Moins connue que l’épuration de la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle en a pourtant les mêmes caractéristiques.

Dès le retrait des troupes allemandes, on observe la volonté de châtier ceux qui ont collaboré avec l’occupant. Les pouvoirs publics mènent des enquêtes afin d’identifier ceux ou celles qui se sont compromis d’une manière ou d’une autre avec l’ennemi. Mais très vite aussi, les populations elles-mêmes saisissent les autorités pour qu’elles poursuivent les « dénonciateurs », le terme de « collaborateur » étant alors peu utilisé. Ainsi, d’anciens déportés veulent retrouver ceux qui les ont trahis. Les « femmes à boches » sont rejetées pour les relations intimes ou professionnelles qu’elles ont eues avec les Allemands. Sous l’inculpation « d’intelligence avec l’ennemi » comparaissent souvent des petites gens comme ces habitants de Bohain accusés d’avoir fourni des tissus et aider l’occupant au redémarrage de l’activité textile à son profit. Leur acquittement fait scandale. La collaboration intellectuelle est également sanctionnée puisque dès la fin 1918, des collaborateurs français du journal rédigé par des Allemands la Gazette des Ardennes sont arrêtés. Parmi les rédacteurs de ce journal se trouve Georges Toqué également accusé lors du procès des dénonciateurs de Laon. Ce procès qui réunit pratiquement toutes les formes d’intelligence avec l’ennemi débute le 16 juin 1919 devant le 4e Conseil de guerre réuni à Paris. Les plus grands avocats au barreau de Paris du moment y sont présents comme Alcide Delmont ou Vincent de Moro-Giafferri, représentés sur ces croquis.

Un groupe de vingt-cinq inculpés aux profils divers sont ainsi désignés sous le nom de « dénonciateurs ». Le nom qui ressort le plus dans les journaux de l’époque est donc celui de Georges Toqué. Présent à Laon peu avant l’arrivée des Allemands, Georges Toqué se met à leur service comme photographe au moment de l’occupation. Il est accusé d’avoir été chargé dès septembre 1914 de recruter à Laon des jeunes gens qui auront pour mission de passer dans les lignes françaises pour en rapporter des renseignements. 

Parmi eux se trouve également le policier d’origine alsacienne Emile Thomas, dont on découvre le portrait dans ce fonds. Ce sont ses révélations qui ont conduits les prévenus devant le Conseil, car ils ont livré des Français à la justice allemande. En effet, agent de police à Strasbourg avant le début de la guerre, Emile Thomas entre donc en France avec l’envahisseur en tant qu’agent de sûreté de la VIIe armée allemande. Il recueille alors les confidences de ceux qui comparaissent à ce procès. Par exemple, le maire d’une commune de l’Aisne non réélu s’explique qu’il s’est vengé de ceux de ses administrés qu’il jugeait responsables de sa défaite en les dénonçant auprès de Thomas. Douze femmes se trouvent aussi parmi les accusés dont Alice Aubert, pour avoir notamment dénoncé deux tirailleurs sénégalais cachés dans la commune d’Anguilcourt-le-Sart. Ces derniers ont été fusillés, en même temps que le maire, son premier adjoint et le garde-champêtre de la commune.

Tous ces accusés ont donc donné des informations aux Allemands, aboutissant parfois à des arrestations suivies d’exécutions. Certains nient les faits, d’autres les reconnaissent tête basse, d’autres encore les expliquent « parce qu’il était difficile de survivre en zone occupé ».[3]

Le procès se conclut par six acquittements, huit condamnations à mort, tandis que les autres reçoivent des peines de travaux forcés. A Vincennes, le 16 mai 1920 sont exécutés Alice Aubert, Moïse Lemoine, Léandre Herbert et Georges Toqué.



1. Revue des causes célèbres, 24 août 1919, p. 776.
2. 10 croquis sont conservés dans le fonds 69 Fi et mis prochainement en ligne.
3. Cité dans l’article de Jean-Yves Dupain in « De Guerre lasse. 1918 », publication du Conseil général de l’Aisne, 2008, page 40.