La réapparition d’un document oublié pendant des siècles, « le diplôme de Louis VIII donnant des terres aux moines de Longpont »

J 2681

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En 1223, un diplôme est signé par le roi Louis VIII, attestant d'une donation de terres à l'abbaye de Longpont. D'apparence anodine, ce document révèle une partie complexe et méconnue de l’histoire de France, mêlant tractations foncières et ambitions personnelles.

 

L’abbaye de Longpont est un site millénaire chargé d’histoire. En 1131, à la demande de l’évêque de Soissons Josselin de Vierzy, Bernard de Clairvaux, accompagné de douze moines, fonde une abbaye cistercienne sur le site de Longpont. Celle-ci dépend de l’abbaye-mère de Clairvaux. Une première messe y est célébrée à Pâques en 1132. L’année suivante, le roi Louis VI Le Gros confirme sa fondation lors de son passage à Soissons. La construction de l’abbaye se poursuit jusqu’en 1227 et la consécration de l’abbatiale gothique survient cette même année en présence du jeune roi Louis IX et de sa mère, Blanche de Castille.

Dès sa fondation, l'abbaye de Longpont bénéficie de nombreuses donations. En 1183, Agathe de Pierrefonds, veuve de Conon, comte de Soissons, donne aux moines de Longpont la terre de Mortefontaine, les prés de Marival (hameau situé entre Mortefontaine et Taillefontaine) et de Bourbout (hameau de Montigny-Lengrain) ainsi que le bois de la Forestella. Ce dernier est difficile à identifier aujourd’hui : probablement était-il situé à proximité du village de Puiseux et par conséquent voisin de la forêt de Retz.

Agathe meurt entre 1192 et 1203 : sans enfant, elle lègue l’immense domaine des puissants seigneurs de Pierrefonds à ses lointains parents, les seigneurs de Châtillon-sur-Marne. Entre-temps, un différend, dont la nature exacte n’est pas connue, éclate entre le roi Philippe Auguste (1165-1223) et les moines de Longpont à propos des donations d’Agathe. En effet, le roi convoite cette terre, située dans une région où il contrôle déjà la châtellenie de Béthisy et la ville de Compiègne et où il se prépare à acquérir, dès la mort de la comtesse Aliénor de Vermandois (1213), la grande seigneurie de Valois.

Entre le roi et la puissante abbaye (elle compte environ 200 religieux), le conflit s'enlise : Philippe Auguste meurt sans avoir pu récupérer ces terres. Son fils, Louis VIII dit le Lion, lui succède en 1223. Quatre mois après son avènement, il décide de mettre fin à la querelle. La donation des terres de Mortefontaine effectuée en 1183 est donc confirmée par le roi en 1223 : c'est l'objet du diplôme présenté ici.

Les religieux acceptent d'abandonner les droits qu'ils tenaient d'Agathe de Pierrefonds et restituent au roi les chartes qui en faisaient foi. Le Trésor des chartes des Archives nationales conserve encore les deux chartes litigieuses d'Agathe de Pierrefonds rendues par les moines. Par la suite, Louis VIII redonne à l’abbaye la terre de Mortefontaine et les deux prés, que les religieux tiendront désormais de lui, et fonde sur ce don royal un anniversaire en faveur de Philippe Auguste. Il garde cependant le bois de la Forestella sur lequel l'abbaye n'exercera plus aucun droit.

En refusant de laisser aux moines la jouissance de la Forestella et en reprenant la possession de ce bois, Louis VIII s'inscrit dans la ligne tracée par son père, Philippe Auguste, qui possédait des droits seigneuriaux éminents sur la forêt de Retz depuis que la châtellenie de Pierrefonds et le Valois étaient entrés dans le domaine de la couronne.

 

Après ces événements, l’abbaye de Longpont continuera à prospérer. Elle subit néanmoins, au fil des siècles de nombreux pillages et destructions qui l'obligeront à chaque fois à être rebâtie jusqu’à la Révolution où l’église et les bâtiments sont vendus comme bien national (1793). Une partie du monastère est alors définitivement détruite, en particulier l'abbatiale. Les ruines sont rachetées en 1804 par le comte Henri de Montesquiou (1768-1844) qui les réaménage en résidence de plaisance. Ses descendants continuent d’entretenir le site qui a également subi les incendies et bombardements lors des deux conflits mondiaux au XXe siècle.

 

Le diplôme de Louis VIII est un rescapé du chartrier de l’abbaye de Longpont, dispersé au moment de la Révolution. Ses actes sont alors passés entre des mains privées. En 1976, quatre de ces chartes, dont un diplôme de Philippe Auguste, réapparaissent : ils sont mis en vente par la maison Charavay, et à nouveau achetés par des particuliers.  

Ce n'est qu'en décembre 2002 que l'un d'entre eux ressort de l'oubli : le Département de l’Aisne fait l’acquisition du diplôme de Louis VIII. Coté J 2681, il donne une idée du contenu du chartrier perdu de l’abbaye, dont - qui sait - d'autres pièces reparaîtront peut-être au fil des ans... 

 

Pour aller plus loin :

  • Louis Carolus-Barré, « Agathe de Pierrefonds et Aliénor de Vermandois, deux grandes dames du temps de Philippe-Auguste », in Bulletin de la Société Historique de Compiègne, n°29, 1985, p 41-45 ;
  • Louis Duval-Arnould, « Deux diplômes de Philippe Auguste et de Louis VIII pour l’abbaye de Longpont », Bibliothèque de l’École des Chartes, t. 145, 1987, pp 203-209 (8° R 47) ;
  • Charles Brémont, « Étude sur la vie et le règne de Louis VIII (1187-1226), par Charles Petit-Dutaillis », Bibliothèque de l'École des Chartes, 1896, tome 57. pp. 101-106.

 

Iconographie