La commission chargée de l’examen des projets d’érection de monuments aux morts de la Grande Guerre

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Derrière cette appellation grandiloquente se cache une commission départementale méconnue, créée au lendemain de la Première Guerre mondiale et chargée d’examiner les projets de monuments aux morts présentés par les communes. En effet, l’érection d’un monument commémorant le sacrifice des soldats obéit à un circuit administratif très strict, qui nécessite notamment l’autorisation du préfet.

 

La commune doit prendre une délibération pour lancer le processus de création d’un monument. Celle-ci est ensuite transmise à la préfecture avec un dossier qui comprend notamment un croquis du monument, le plan de son emplacement, un devis estimatif et un plan de financement.

 

Avant d’entériner tout projet, le préfet le soumet à une commission qu’il préside : la commission chargée de l’examen des projets d’érection de monuments aux morts de la Grande Guerre. Cette commission est instaurée dans chaque département en application de la circulaire ministérielle du 10 mai 1920 ; elle est chargée d’évaluer l’esthétique et l’intérêt artistique des monuments. Dans l’Aisne, elle est composée de huit membres aptes à juger la pertinence esthétique et artistique d’un projet et peut émettre des observations et des critiques qui portent surtout sur l’architecture et le décor. La commission doit également veiller au respect de la loi du 9 décembre 1905 qui interdit l’apposition de signes religieux sur les monuments.

 

Cette commission artistique n’a laissé que très peu de documents aux Archives départementales de l’Aisne, puisque seul une petite liasse d’environ 10 centimètres d’épaisseur nous est parvenue. Elle rassemble quelques comptes rendus de réunions, notamment celles qui se sont tenues en 1929 et 1930 – ce qui permet de connaître sa composition – et quelques projets transmis par les communes.

 

Les huit membres de la commission recensés en 1929 sont essentiellement recrutés dans le monde des architectes, des musées et des arts. Georges Ermant, sénateur et ex-maire de Laon a une longue expérience d’architecte, puisqu’il est l’auteur de l’école normale et du lycée de Laon. Jean Aman, artiste peintre proche de Seurat et Puvis de Chavannes, est conservateur du musée de Château-Thierry. Jean Lapeyre, architecte des monuments historiques, est auteur des plans de reconstruction de l’église d’Aizy. Georges Collin est architecte départemental et intervient sur de nombreux chantiers dans l’Aisne. Louis Bourguignon et Fernand Joets sont respectivement architectes à Laon et La Fère. Lucien Broche, archiviste départemental est aussi conservateur du musée de Laon et secrétaire de la Société académique de Laon. Enfin, Louis Pétrot est conseiller municipal de Vincy-Reuil-et-Magny et conseiller général du canton de Rozoy-sur-Serre.

 

Les membres se réunissent plusieurs fois par an pour analyser scrupuleusement les dossiers qui leur sont soumis.

 

Dans sa séance du 4 août 1927, la commission étudiant le projet du monument aux morts de Craonne prend soin de préciser qu’elle apprécie la recherche dans l’étude du projet mais recommande le décloisonnement entre les colonnes et le motif central d’inscriptions. Dans le cas du village voisin de Craonnelle, la commission valide le projet sous réserve que la torche couronnant le monument soit supprimée. Aujourd’hui, c’est un pot à feu qui surmonte la partie centrale du vaste monument.

 

Pour la commune de Dammard, la commission réunie en 1930 signale que « le projet conçu très sobrement ne manque pas d’une certaine allure qui le distingue des monuments que l’on rencontre trop souvent ». En revanche, pour Monceau-le-Waast, elle recale le premier projet qui « est dessiné d’une façon rudimentaire et manque de proportion, il conviendrait de diminuer la hauteur du piédestal et de la base et d’augmenter le fût pyramidal ». La commune prend en compte ces observations et son second projet est validé ultérieurement par la commission puis par le préfet.

 

Le jugement des membres est parfois sec et rédhibitoire. Pour la petite commune des Autels, « le projet présenté […] pour commémorer le souvenir de ses enfants morts pendant la guerre rentre dans la catégorie et la banalité des monuments en série ». Dans le cas de Fressancourt, le dossier proposé « ne comporte qu’un croquis informe et un devis sans aucune indication », la commission ne prend donc aucune décision. Pour Brécy, « l’emplacement de la croix de guerre est mal choisi ». Quant au petit village de Montchâlons, « le croquis informe joint au projet présenté par la commune ne permet pas de se rendre comptes des dispositions projetées, il convient d’inviter la commune à faire établir un dessin correctement dessiné à l’échelle et coté ».

 

Toutefois, les avis de la commission ne sont pas toujours suivis d’effet. Dans le cas de Saint-Nicolas-aux-Bois, le monument est achevé avant même que la commission ait étudié le projet. Le préfet rappelle au maire que « les formalités exigées n’ont pas été accomplies en temps opportun » et qu’il aurait pu « refuser d’approuver la délibération de l’assemblée communale ». Mais songeant aux difficultés qui auraient pu résulter de ce refus, et notamment « la dépense au fournisseur qui est hors de cause », il entérine ce projet.

 

Même cas pour Suzy, où la commission a initialement proposé « la suppression du couronnement de la pyramide et son remplacement par une simple pointe de diamant », mais le préfet qui transmet son arrêté du 19 juillet 1929 précise que « l’érection du monument ayant déjà eu lieu, la commission générale chargée d’examiner le dossier du projet a estimé n’avoir pas d’avis à émettre ». Le plan proposé par la commune de Suzy et conservé dans les archives de la commission montre que le dessin initial, à l’encre noire, présentait un couronnement et qu’un coup de crayon a redessiné une simple pointe de diamant. Toutefois, le monument actuel a finalement été réalisé avec son couronnement, sans modification, ni suppression ultérieure.

 

 

Cette commission qui n’a eu qu’une brève existence – moins de vingt ans –, a cependant fortement influé sur de nombreux projets, selon des critères bien spécifiques. Présents depuis un siècle environ dans la grande majorité des communes de l’Aisne, les monuments aux morts rappellent le sacrifice des soldats et appartiennent pleinement au paysage et au patrimoine architectural.

 

Archives dép. Aisne, 8 T 38

 

Iconographie en ligne

 

Carte postale du monument aux morts de Beaurieux, 18 Fi Beaurieux 6
https://archives.aisne.fr/ark:/63271/2315515/dao/0/1

 

Carte postale du monument aux morts de Beaurieux, 18 Fi Beaurieux 7
https://archives.aisne.fr/ark:/63271/2315516/dao/0/1

 

Carte postale du monument aux morts de la Grande Guerre de Chéry-lès-Pouilly, 18 Fi Chéry-lès-Pouilly 2
https://archives.aisne.fr/ark:/63271/2124888.2316985/dao/0/1

 

Carte postale du monument aux morts de Muscourt, 18 Fi Muscourt 1
https://archives.aisne.fr/ark:/63271/2133940.2319657/dao/0/1

 

Carte postale du monument aux morts de la Grande Guerre de Craonne, 18 Fi Craonne 5
https://archives.aisne.fr/ark:/63271/2317554/dao/0/1

 

Carte postale du monument aux morts de la Grande Guerre de Craonne, 18 Fi Craonne 14
https://archives.aisne.fr/ark:/63271/2131275.2317563/dao/0/1