L’assassinat de John F. Kennedy vu par les troupes américaines de la base de Laon-Couvron

SC 19434
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En novembre prochain auront lieu les commémorations des soixante ans de l’assassinat du 35e Président des États-Unis John Fitzgerald Kennedy. L’occasion de revenir sur cet évènement à travers une source peu connue, librement communicable depuis seulement 10 ans (conformément aux articles L.213-1 et L.213-2 du code du patrimoine) : un rapport rédigé par le commandant J. Price, officier de liaison sur la base aérienne USAFE (United States Air Forces in Europe) de Laon-Couvron.

Rédigé en décembre 1963, ce document traite de l’activité de la base durant le mois de novembre 1963[1]. Il fait partie d'un ensemble de rapports produits de l’inauguration officielle de la base en 1954[2] jusqu’en 1963, et conservés dans le fonds du cabinet du Préfet de l'Aisne (cote SC 19434).

Le rapport de novembre 1963, largement consacré à la mort du Président Kennedy, constitue une source riche sur la façon dont a été reçue la nouvelle tragique par les troupes américaines et sur les commémorations qui ont suivi le drame.

 

La base USAFE de Laon-Couvron : un exemple de coopération militaire franco-américaine au cœur de la guerre froide

Si on peut faire remonter la présence de l’aviation sur le territoire de Couvron-et-Aumencourt aux années 1930, la base ne se développe réellement qu’à partir du début des années 1950 sous l’impulsion de l’US Air force. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, face au développement du communisme dans le monde et à la puissance de l’Union soviétique, les États-Unis créent l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) : la France fait partie des signataires de ce traité. Des bases aériennes étasuniennes s'implantent ainsi sur son sol pour qu'y stationnent des avions de combat. Une dizaine de sites sont concédés à l’armée de l’air américaine par le gouvernement français, dont l’aérodrome de Couvron, qui se charge de le rénover et de le mettre aux standards de l'OTAN. L’objectif de cette implantation pour l’Alliance atlantique est de pouvoir réagir rapidement en cas de conflit armé avec le bloc de l’Est et d'être en mesure de réaliser des missions de reconnaissance au-delà du rideau de fer. La présence américaine s’étend par la suite aux communes de Vivaise, Crépy et Chéry-lès-Pouilly et environ 3 000 ressortissants (militaires, personnels annexes et leurs familles) habitent le bassin laonnois aux grandes heures de la base. C'est l’arrivée au pouvoir du Général de Gaulle, soucieux d’affirmer la souveraineté de la France grâce à une stratégie de défense désormais basée sur la dissuasion nucléaire, qui remet en cause la présence américaine sur le sol français. La base de Couvron est officiellement rétrocédée à l’armée française en 1967.

 

La stupéfaction puis les hommages à la suite de l’annonce de l’assassinat du Président de la première puissance mondiale

C’est dans ce contexte qu’est produit le rapport de novembre 1963. L’administration française souhaite connaître les activités de l'armée américaine et demande la rédaction de ces rapports mensuels, dans lesquels sont majoritairement relatés les problèmes liés à la vie de la base (ravitaillement, conflits entre soldats, moral des troupes…) et à la cohabitation avec les civils français. Ces deux problématiques sont ainsi étudiées dans le document, en lien avec l’assassinat du Président Kennedy survenu le 22 novembre.

On y lit d’abord que les troupes américaines ont été frappées d’effroi en apprenant la nouvelle, voire ont traversé une phase de déni. J.F. Kennedy était particulièrement respecté par les soldats américains, du fait entre autres de son passé de lieutenant dans la marine pendant le conflit mondial, minutieusement mis en avant pendant la campagne présidentielle[3]

Très vite, les hommages se succèdent. Du coté américain dans un premier temps où deux messes sont organisées : l’une protestante et l’autre catholique ce qui ne manque pas de créer quelques frictions au sein des troupes. Puis du coté français ce qui semble surprendre le commandant Price qui relate, en plus des hommages officiels, l’envoi de lettres de soutien de la part de civils français. Il fait part également de la cérémonie organisée à la cathédrale de Laon dès le lendemain de l’assassinat, qui a été particulièrement bien reçue par les Américains et très suivie par les Français. Les relations parfois compliquées avec la population locale s’apaisent dans un mouvement de solidarité et de compassion quasi général.

Le temps des hommages laisse néanmoins place à celui de la colère et des doutes. Les soldats n’arrivent pas à concevoir que la garde rapprochée du Président de la première puissance mondiale ait pu laisser une telle catastrophe se produire, tandis qu’en France, le chef de l’État a été la cible de nombreux attentats qui ont tous échoué. Ils s’interrogent également sur l’assassinat du principal suspect, Lee Harvey Oswald, à peine 48 heures après son arrestation par les autorités. Ils émettent de nombreuses réserves sur l’avenir politique de leur pays et désapprouvent l’éviction des proches de J.F. Kennedy par le nouveau président Johnson. Enfin, l’auteur mentionne le cas des afro-américains de la base, inquiets que la mort de Kennedy n'entraîne un recul de leurs droits en plein mouvement des droits civiques.

 

Ce document offre une vision rare sur le ressenti intime de l'armée. On y observe que la réaction des militaires américains a été sensiblement la même que celle des sociétés occidentales. La stupéfaction et l’émotion ont rapidement laissé place aux doutes et à des interrogations parfois restées sans réponse. Soixante ans après, l'assassinat du président Kennedy continue à fasciner l’opinion publique.

 

Sources :

 

Ouvrage conservé aux Archives départementales de l’Aisne :

DS 340 : Pierrot (Françoise et Michel), Relevé des articles de presse concernant les aviateurs américains de l’OTAN durant leur présence sur l’aérodrome de Laon-Couvron, 1952-1967, Couvron, 2003.

 

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[1] Seules les pages consacrées à la mort du Président Kennedy sont présentées ici, le rapport complet fait 24 pages.

[2] À noter que ces rapports ne sont devenus mensuels et complets qu’à partir de 1958. Avant cela, les officiers de liaison n’accordaient que peu d’importance à ces rapports, ce qui leur a valu de nombreuses lettres de remontrance de la part du Préfet.

[3] Il était une fois en Amérique : 1960, Kennedy, le héros du Pacifique, FranceInfos.
Podcast : https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/il-etait-une-fois-en-amerique/il-etait-une-fois-en-amerique-1960-kennedy-le-heros-du-pacifique_4045419.html