Des vacances et… la guerre

Enfants de la colonie des Sables-d’Olonne en 1937, E-dépôt 401 1 R 63.
Courrier entre la caisse de prévoyance de la SNCF et la caisse des écoles de Laon (Arch. com. Laon, E-dépôt 401 4 H 360).

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Des vacances et… la guerre

Dans l’entre-deux-guerres, l’élan hygiéniste et le socialisme municipal poussent les villes à créer des colonies de vacances pour les enfants des classes populaires. L’apparition des congés payés et d’un ministère du Temps libre accélèrent le mouvement à partir de 1936. Ces vacances pour jeunes sont un enjeu social universel. Il touche toutes les nations développées à travers le monde comme en témoigne le film de Franck Capra, Mr Smith au Sénat en 1939.

À Laon, en 1935, est créée une caisse des écoles publiques présidée par le maire Marcel Levindrey. C’est cette dernière qui va prendre en charge l’organisation et le financement des colonies de vacances dès 1936.

Cette première année est un coup d’essai et le projet reste modeste. La ville mobilise ses instituteurs afin d’accueillir les enfants dans de bonnes conditions. Ces derniers sont regroupés dans cinq centres scolaires de la ville de 13 h 30 à 17 h 30 de la mi-août à la mi-septembre.

Trois centres sont consacrés aux garçons :
- L’école normale reçoit les garçons du Plateau, d’Ardon, de Leuilly, Semilly et Laneuville.
- L’école de garçon de Vaux prend en charge ceux de Vaux et de Saint-Marcel.
- Les garçons de la Cité des cheminots profitent de leur école durant cette période.

Les filles elles ont accès à deux centres situés :
- Dans l’école des filles de Vaux pour les enfants de Saint-Marcel, du Plateau, d’Ardon, de Leuilly, Semilly et Laneuville.
- Dans l’école des filles de la Cité pour celles de Vaux et de la Cité.

En 1937, la caisse des écoles de Laon propose aux enfants de découvrir le bord de mer. Marcel Levindrey est un peu dépassé par le succès de cette offre sociale. En effet, 173 enfants se sont inscrits. Mais le centre, qui doit les recevoir, ne dispose pas de la place nécessaire. Finalement, on limite le nombre des départs aux Sables-d’Olonne à 152 enfants. Globalement, le séjour se passe dans la joie et la bonne humeur et à la mi-août 1937, les parents ont la joie de retrouver leurs enfants hâlés et ayant un peu forci, tant le grand air et la nourriture saine semblent leur avoir fait du bien. Enfin, presque tous les parents. En effet, deux enfants ont dû être hospitalisés lors du séjour. Le premier, un garçon de 11 ans, a été traité pour une suspicion de diphtérie. Il est rapatrié quelques jours après ses camarades. La seconde, une jeune fille de 12 ans, a contracté la scarlatine. Son hospitalisation est un peu plus longue et elle ne rejoint son domicile qu’aux premiers jours de septembre.

L’expérience ayant été concluante, la ville de Laon relance de nouvelles colonies en 1938. Cette fois-ci, une partie de la jeunesse profite des vagues vivifiantes du Finistère à Plozévet alors qu’une seconde colonie est installée à Xonrupt, dans les Vosges, au pied du col de Schlucht. Un rapport de la directrice de cette colonie, madame Charton, permet de connaitre un peu précisément le fonctionnement de ces institutions de vacances. L’emploi du temps est le suivant :

7 h 00 : lever et hygiène
7 h 15 : lits, toilette, ménage
8 h 00 : gymnastique
8 h 20 : petit déjeuner
9 h 00 : activités
11 h 45 : lavage des mains
12 h 00 : déjeuner
12 h 45 : lavage des mains et des dents
13 h 00 : sieste
14 h 30 : activités
16 h 30 : goûter
17 h 15 : douche et travaux dirigés (par roulement)
19 h 15 : diner
20 h 00 : coucher

Cependant, la directrice reconnait faire preuve de souplesse pour ceux qui veulent dormir un peu plus. Madame Charton rapporte aussi avec précision ce qui est servi au repas.

- Le petit déjeuner est composé de chocolat chaud ou de café au lait, accompagné de tartines (en général 2 par enfant) généreusement beurrées et enduites de confiture.
- À midi, salades et légumes frais précèdent une viande (rôti de bœuf au four…) et des féculents. Le tout est suivi d’un fromage, de préférence le munster produit à cinq minutes de la colonie, et d’un fruit.
- Le soir, un repas plus léger constitué d’un potage, de légumes cuits, de fromage et d’un laitage est servi aux enfants.

Vu le régime proposé, il n’est pas étonnant de constater des prises de poids chez les vacanciers dès les premiers jours.

Le succès des colonies ne se dément pas. Même si le dossier pour 1939 ne se trouve pas aux Archives départementales de l’Aisne, le document présenté ci-dessus rend compte de la démarche de la ville pour faire financer en partie ses colonies par la caisse de prévoyance de la SNCF.
Cette dernière est à nouveau sollicitée le 6 mai 1940. Cette demande, qui se révèlera inutile, nous révèle cependant des informations importantes pour jauger de l’état d’esprit à Laon et en France aux premiers jours du mois de mai 1940. En effet, depuis le 3 septembre 1939, les hommes sont mobilisés et la France est en guerre. Pendant que les soldats attendent, avec plus ou moins de patience, l’arrivée hypothétique d’un ennemi, à Laon on est plein de confiance en l’avenir. Les premiers beaux jours n’inspirent à la caisse des écoles que le bonheur prochain d’envoyer les enfants des classes populaires découvrir les joies d’une villégiature loin de Laon. Personne n’imagine, quatre jours avant l’attaque, quelle tempête va s’abattre sur le pays et sur la montagne couronnée. Personne ne pense que moins de cent heures après l’envoi de ce courrier, les bombes vont pleuvoir sur la gare de Laon.

Plus surprenante encore est la réaction du directeur de la caisse de prévoyance de la SNCF. En effet, il explique au maire de Laon, président de la caisse des écoles, d’un ton presque badin, pourquoi il ne peut soutenir le projet de colonies laonnois qu’à partir de cette année. Cette justification est datée du 17 mai, le jour même où Charles de Gaulle tente de stopper l’inéluctable avance de Guderian avec ses chars devant Montcornet. Ce 17 mai, c’est aussi le jour où Saint-Quentin s’apprête à tomber entre les mains de la Wehrmacht. Aussi, faut-il qu’on soit bien mal informé à Houlgate pour envoyer un tel courrier.

Cette lettre, outre l’intérêt manifesté pour le bien-être de la jeunesse, démontre que les populations, y compris les élus et les fonctionnaires de rang élevé, n’ont absolument aucune conscience de la situation. Le maire de Laon et le cadre dirigeant de la SNCF ignorent tout des préparatifs allemands puis, sont pris au dépourvu par la fulgurante avancée des panzers. Cette lettre traduit, d’une certaine façon, l’incapacité des élites françaises à prévoir comment va se dérouler la guerre. Et si les dirigeants civils ne sont pas en capacité de prendre la mesure de ce qui est en train de se passer, il semble évident que les chefs de l’armée, éloignés du terrain, ne le sont pas davantage. L’armée française, qui est presque immédiatement débordée en à peine une semaine, en est une cruelle illustration.

Cette lettre, preuve de l’insouciance française, finit par parvenir miraculeusement à Laon. Par où a-t-elle bien pu passer ? Est-elle arrivée le 19 mai, en pleine déconfiture, acheminée on ne sait comment, remontant les colonnes de réfugiés, mêlée aux troupes égaillées en tous sens ? A-t-elle réussi à rattraper l’administration communale se repliant à Laval ? N’est-elle parvenue en ville qu’après le 1er juillet, épargnée par la guerre ? Quoiqu’il en soit, ce document est le témoin inattendu d’un état d’esprit qui peut expliquer, en partie, la débâcle. Passé à travers les gouttes de l’histoire, il reste un témoignage quelque peu lunaire de l’ignorance dans laquelle sont les Français. Quelle ne fut pas leur surprise de voir ce pays dont ils étaient si fiers et cette armée qui passait pour la première du monde s’effondrer aussi brusquement.