« Le temps, lui, ne ment pas ! » Une année 1942 sous l’égide du maréchal Pétain

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« Le temps, lui, ne ment pas ! »[1]

Une année 1942 sous l’égide du maréchal Pétain

 

Au détour de recherches, on a parfois la surprise de découvrir des documents aussi improbables que curieux. Ainsi, ponctuant le suivi du parti social français par les services préfectoraux, est apparu ce calendrier de l’année1942 à la gloire de l’État français et du maréchal Pétain. Cet objet documentaire inattendu révèle de nombreuses facettes de cet État autoritaire et totalitaire qui se met en place, en France, à partir du 10 juillet 1940.

 

Ce calendrier montre d’abord que Vichy a bel et bien une approche totalitaire. En effet, éditer un calendrier montre une velléité de contrôler le temps des Français, d’être présent dans le déroulement de ce temps et faire de ce dernier un message politique. Cette volonté de contrôle du temps, on la retrouve dans de nombreuses gouvernances. Par exemple, sous la Convention qui impose le calendrier révolutionnaire puis sous l’Empire qui revient au calendrier grégorien. Mais la maitrise du temps est aussi une concurrence entre le pouvoir ecclésiastique, dont les églises sonnent les heures pendant que les religieux les récitent, et les écoles et mairies de la IIIe République dont les carillons célèbrent les vertus citoyennes à heure fixe.

 

Cependant, publier un calendrier à la gloire du gouvernement de Vichy, c’est aussi une opération de propagande. En effet, dans chaque maison, on trouve au moins un calendrier afin de pouvoir mesurer et organiser le temps qui passe. Le calendrier permet ainsi d’être présent dans chaque foyer français, du moins ceux qui le souhaitent, sans pour autant que les familles, parfois modestes, ne soient obliger d’acheter un portrait officiel du chef de l’État souvent onéreux. En cette fin d’année 1941, la popularité du maréchal Pétain et de son chef de gouvernement, François Darlan, sont au plus haut et on peut penser que de nombreux Français seront heureux d’exhiber leur attachement au pouvoir sur le manteau de leur cheminée.

 

La certitude d’être dans de nombreux salon, c’est aussi, pour les gouvernants de Vichy, l’occasion de faire passer un certain nombre de messages. Ainsi, chaque mois est agrémenté d’une belle photo de propagande et d’une citation du maréchal, propre à exalter l’esprit maréchaliste.

 

Dès janvier, ça commence fort avec : « en 1917, j’ai mis fin aux mutineries. En 1940, j’ai mis un terme à la déroute. Aujourd’hui, c’est vous-même que je veux sauver ». Le maréchal rappelle ainsi qu’il est un homme providentiel et affirme sa volonté d’entrer dans le cœur de chacun. Cependant ces paroles peuvent être glaçantes si on prend en compte la volonté de contrôle de chaque individu au plus profond de lui-même.

 

En février, le Maréchal parle du sujet des prisonniers : « le sort de nos prisonniers retient en premier lieu mon attention. Je pense à eux parce qu’ils souffrent, parce qu’ils ont lutté jusqu’à l’extrême limite de leurs forces ». Les bras de ces hommes manquent tant dans les champs et les usines qu’autour des épaules d’épouses esseulées. En leur rendant hommage, le chef de l’État français reste dans le pathos, sans aucune mesure concrète pour leur retour. Quand celles-ci arriveront, il s’agira d’envoyer encore davantage de force de travail en Allemagne.

 

En mars, il annonce : « le peuple français porte son avenir en lui-même, dans la profondeur de soixante générations qui nous ont précédé sur notre sol et dont vous êtes les héritiers responsables ». Si cette déclaration fleure bon la référence à la terre qui ne ment pas, Pétain renvoie une nouvelle fois le poids de la défaite et de la situation sur les épaules des Français sans même vouloir engager un mouvement pour améliorer la situation. On le constate et on le déplore, mais il n’y a pas d’action dans ces déclarations.

 

En avril, le maréchal affirme son autoritarisme et la forme dictatoriale de son pouvoir en énonçant : « l’autorité ne vient plus d’en bas. Elle est proprement celle que je confie ou je délègue ».

 

En mai, il se réfère aux mères en résonnance à la fête des mères qu’il veut redorer et au slogan « Travail, Famille, Patrie ».

 

En juin, il appelle chacun à se réformer. En juillet, il demande aux Français de s’unir. En août, il exhorte au travail, « le moyen le plus noble et le plus digne que nous ayons de devenir maîtres de notre sort ». En septembre, il dénonce ceux qui sont « incapables de s’intégrer à un groupe ». Il sous-entend par-là que ceux qui ne se soumette pas et qui ne soutiennent pas son gouvernement sont des diviseurs qui agissent contre le pays.

 

En octobre, moment de la rentrée des classes, il se fait photographier au pupitre du maître et enseigne aux enfants « qu’il faut que vous sachiez que dans votre vie, vous aurez à dire NON à toutes sortes de tentation ; c’est pourquoi je vous dis à vous ce que je disais à mes soldats dans l’autre guerre : Courage, ne cédez pas ». Ici, il est bon de faire référence au Pétain de 1916 et 1917, car celui de 1940 a été moins solide face à la tentation du pouvoir acquis au prix des plus hautes compromissions. En novembre, serrant les mains de ce qui semble être des anciens combattants, le maréchal réussit, en faisant mine de ne pas y toucher, a honorer les combattants de la Grande Guerre. Une nouvelle fois, il rappelle aux hommes qu’ils sont les « hommes d’une vieille et glorieuse nation » et les appelle au ressaisissement. Ce calendrier se termine avec un maréchal parmi les enfants, appelant à renoncer « à la haine car elle ne crée rien. On ne construit que dans l’amour ».

 

En définitive, le champ sémantique est essentiellement celui du pathos. Les citations du Maréchal Pétain sont utilisées sur le registre de l’émotionnel afin de culpabiliser les Français. Il se construit au passage une statue d’homme providentiel au-dessus des autres et dont émane tout espoir, sans jamais en distiller une miette, ne serait-ce dans une proposition ou une promesse d’un lendemain qui chante. Ce faisant, Pétain utilise la sémiotique du triangle de Karpman, mettant les Français à la fois dans la position de la victime et de l’agresseur, se réservant la place du sauveur. Ce calendrier est donc bel et bien un bijou de propagande chargé de renforcer et d’instiller jusqu’au plus profond des foyers une idéologie pétainiste totalitaire.

 

Cependant, si le temps ne ment pas, il sait se montrer cruel. En effet, les Français, qui chaque mois auront le plaisir de lire les petites maximes du maréchal, verront aussi la guerre basculer en faveur de ses opposants à Stalingrad puis en Afrique du Nord. Ils le verront perdre de sa superbe et apparaitre réellement pour ce qu’il est, un gouvernant fantoche, après le mois de novembre et l’invasion de la zone libre. Pour Darlan, prêt, au gré du vent, à embrasser les libérateurs, cette année 1942 sera encore plus cruelle, puisqu’elle s’achève par sa mort, assassiné à Alger dans les derniers jours de l’année.



1 En référence aux paroles prononcées par Philippe Pétain lors de son allocution du 25 juin 1940 relative aux conditions de l’armistice.