Rupture d’une promesse de mariage par une fiancée du XVIIIe siècle

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En 1712, Louis Rustaing de Saint-Jory, gentilhomme ordinaire du duc d’Orléans, rédige un mémoire pour se défendre de la plainte déposée par Jeanne Geneviève Aubert de Châtillon suite à la rupture de leur promesse de mariage.


Ce mariage était pourtant prometteur ! Lui est fils d’un conseiller au parlement de Metz, par ailleurs intendant général des maisons et des finances du duc d’Orléans et grand maître des Eaux et forêts. Elle est, de son côté, la fille d’un secrétaire du roi, contrôleur du trésor royal. Sa dot s’élève à 15 ou 20 000 livres de rentes. On retrouve ici deux dimensions essentielles du mariage sous l’Ancien Régime : la dimension politique avec l’union, non pas uniquement de deux jeunes gens, mais de deux familles prestigieuses et la dimension économique avec la précision, dès les premières lignes du document, du montant de la dot de la fiancée. Ce mariage devait être assez avantageux pour que Louis Rustaing renonce en quelques jours à embrasser « l’état ecclésiastique » dont il « attendois de nouvelles grâces qui lui étoient promises ». Amour, sentiments et bonheur, notions qui n’apparaissent qu’à la fin du XVIIIe siècle, sont bien peu présents dans cette promesse de mariage !

La rencontre des deux jeunes gens, âgés de 25 et 27 ans, a lieu à Villers-Cotterêts en novembre 1711. Plutôt âgés pour un premier mariage, ils ont tous les deux atteints la majorité matrimoniale fixée à 25 ans. Les futurs mariés peuvent, après cet âge, se passer du consentement de leurs parents. Ils risqueraient toutefois d’être déshérités si leurs parents désapprouvaient l’union. Mlle Aubert s’assure donc « par un acte de sommation respectueuse » que cela n’arrive pas. 

Quinze jours après leur rencontre, devant retourner à Paris et rendu méfiant par des rumeurs sur l’existence d’un premier projet de mariage avec un jeune financier quelques mois plus tôt, Louis Rustaing accepte la proposition de signer une promesse de mariage. Ces fiançailles doivent être obligatoirement consignées par écrit depuis 1639, afin de servir de preuve en cas de litige. Bien que laïque, ce contrat est passé devant Dieu, les fiancés s’engageant à se « présenter à la Sainte Eglise pour y célébrer leur mariage ».Le traditionnel échange de bagues n’a pas lieu mais une somme importante, 30 000 livres, sert de garantie à cette promesse. 

Mais Melle Aubert revoit son ancien prétendant à Villers-Cotterêts et rompt les fiançailles. L’affaire est portée devant le tribunal ecclésiastique de l’Officialité. C’est à cette occasion que ce mémoire est rédigé. Les causes de rupture des fiançailles sont en principe limitées : consentement réciproque, absence prolongée de trois ans ou peine infâmante. C’est ce troisième cas de figure qui est le nôtre, la fiancée attendant un enfant de son ancien prétendant…

Le récit de ce « mariage avorté » a semblé suffisamment emblématique pour être publié en 1747 dans l’ouvrage Causes célèbres et intéressantes, avec les jugemens qui les ont décidées du juriste François Gayot de Pitaval. Une description de Melle Aubert par Louis Rustaing y est ajoutée : « Elle avait ordinairement de l’esprit, rarement du bon sens, jamais de la raison ». Heureusement qu’il précisait dans l’introduction de son mémoire « je sais d’ailleurs que les dames quoi quelles puissent faire ne perdent jamais le droit d’être traitées avec respect » !