Référendum clandestin contre la politique de collaboration de Vichy

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À partir de mai 1940, la France connait une série de terribles bouleversements qui déchirent le tissu social. L’armée française, considérée comme la plus forte au monde, est vaincue en seulement quelques jours par les troupes allemandes. Les conséquences sont connues : 1 850 000 soldats français sont faits prisonniers ; l’armistice, signé le 22 juin 1940, aboutit à l’occupation de deux tiers du territoire par une armée ennemie ; les pleins pouvoirs votés au maréchal Pétain le 10 juillet sonnent le glas de la Troisième République et introduisent un régime qui ne va pas tarder à montrer son visage autoritaire et antidémocratique.

 

Si la population française, dans son immense majorité, se range derrière la personne du maréchal Pétain et se terre dans l’attentisme, il n’en va pas de même pour une poignée d’individus qui n’acceptent ni la défaite, ni l’armistice. Ainsi, dès l’été 1940, des initiatives résistantes se manifestent. Ces dernières restent cependant isolées et il faut attendre 1941 pour voir apparaître des organisations plus structurées : filières d’évasion de prisonniers, réseaux de renseignements, sabotages etc., auxquelles il faut ajouter bien évidemment les publications clandestines.

 

« La Résistance commence souvent par de simples mots[1] »

 

La propagande apparaît en effet comme l’une des manifestations les plus précoces et les plus répandues de la Résistance. À l’inverse des autres domaines de l’action clandestine, elle cherche à toucher le plus grand nombre afin de lutter contre une information étroitement contrôlée par les autorités d’Occupation et le régime de Vichy[2]. Nécessitant peu de moyens dans un premier temps, elle cherche également à redonner un semblant d’espoir à la population, alors que l’Allemagne semble assurée de gagner la guerre.

 

Le tract « Français, voici un référendum » en est le parfait exemple. On le trouve dans un dossier du cabinet de la préfecture de l’Aisne, avec quelques 77 autres documents du même type. Envoyés par la poste durant les mois de mai-juin 1941, ces derniers sont adressés au secrétaire d’État à l’Intérieur et reprennent tous la même question : « En bon Français, acceptez-vous que votre pays se range aux côtés de l’Allemagne pour combattre l’Angleterre et les soldats de la France libre ? ». Il s’agit ici de contrecarrer la propagande vichyste à l’encontre de l’Angleterre qui a établi un blocus des côtes françaises depuis le mois d’août 1940. Il s‘agit surtout de remettre en cause la légitimité du gouvernement pétainiste au profit des hommes de l’ombre : celui qui recopie le questionnaire est un « bon Français », « pour la liberté contre l’asservissement ». Chacun est invité à le recopier au moins cinq fois et à le diffuser le plus possible.

 

Si l’ensemble de ces tracts reprennent le même texte, la plupart vont se singulariser par leurs signatures – anonymes – ou des mentions manuscrites. Certains tracts sont ainsi signés  par « un bon français », « un gaulliste », « un ancien combattant de 14-18 », « un père de 3 enfants qui ne veut pas être boche », « un Saint-Quentinois qui pour la deuxième fois vit sous la botte » etc. Puis, à côté, se lisent des « Vive la France libre », « Vive l’Angleterre », « Vive de Gaulle », « les usurpateurs ne comptent pas », « nous ne pouvons accepter » etc. Les mentions de rejet de la politique de collaboration sont également très présentes. On retrouve enfin les paroles d’une chanson parodique prenant le parti de l’Angleterre, un petit croquis des drapeaux français et britanniques croisés ou encore des bandes tricolores dessinées au coin d’une feuille.

 

Les enveloppes, qui ont été conservées avec les tracts, nous informent quant à elles sur les communes d’expédition : on en dénombre 15 de Saint-Quentin, 11 de Tergnier (dont 2 de Quessy et 1 de Fargniers), 7 d’Hirson, 4 de Soissons, 3 de Château-Thierry, 2 de Saint-Simon, 1 de Bucy-le-Long, Buironfosse, Frières-Faillouël, Gauchy, Laon, Viels-Maisons. 14  enveloppes supplémentaires ne sont malheureusement plus exploitables car les timbres ont été arrachés.

 

Ces documents s’avèrent extrêmement précieux pour la compréhension des débuts de la Résistance, tant les sources écrites sont rares pour cette période. Pour autant, ils doivent faire l’objet d’une analyse critique. Combien de personnes ont réellement envoyé ces tracts ? Plusieurs d’entre eux n’émanent-ils pas d’une seule et même personne ? S’agit-il à l’origine d’une initiative individuelle ou le fruit d’un mouvement plus large ? Tout au plus pouvons-nous constater un embryon d’organisation dans la mesure où ces tracts sont expédiés de l’ensemble du département de l’Aisne et plus généralement du nord de la France. Enfin, les nombreuses références à la France libre et au général de Gaulle ne doivent pas nous faire oublier que ces derniers n’établissent un lien solide avec la Résistance intérieure qu’à partir de l’automne 1941. Si les références à l’homme du 18 juin ne sont pas rares avant cette date, il n’existe pas à proprement parlé de mouvements gaullistes.

 

 

Bibliographie :

 

  • Jean-Pierre AZÉMA et François BÉDARIDA (dir.), La France des années noires, t. 1, De la défaite à Vichy, Paris, Seuil, 2000, 580 p.
  • Jean-François MURACCIOLE, La France pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris, Librairie générale française, 2002, 542 p.
  • Julien BLANC, Au commencement de la Résistance : du côté du musée de l'Homme, 1940-1941, Paris, Seuil, 2010, 511 p.

 



[1] Julien BLANC, Au commencement de la Résistance : du côté du musée de l'Homme, 1940-1941, Paris, Seuil, 2010, 511 p.

[2] Ibid.