Quand l’arrondissement de Château-Thierry demande son intégration à la Champagne viticole

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Au début du XXe siècle, la Champagne est une région enviée, car elle produit des vins de prestige qui s’exportent allègrement hors de France. Mais malgré sa notoriété, elle subit de plein fouet, et postérieurement aux autres régions viticoles, les ravages du mildiou et surtout du phylloxéra. Malgré sa connaissance des soins antiphylloxériques développés par les autres régions qui utilisèrent des porte-greffes américains pour sauver le vignoble français, la région Champagne connaît certains désastres viticoles dans la décennie 1900. Par ailleurs, l’accroissement de la consommation de vin de Champagne a amené, dès la fin du XIXe siècle, certains vignerons marnais à s’approvisionner dans les communes situées hors de leur département, notamment dans l’arrondissement de Château-Thierry. Enfin, des contrefaçons appelées « champagne » mais provenant de crus de Toul, de Vouvray ou d’Allemagne concurrencent frauduleusement le commerce viticole marnais.

 

C’est ainsi qu’en 1903, le Conseil général de la Marne et les syndicats des vignerons marnais, groupés en fédération dès 1904, demandent au ministère de l’Agriculture de fixer la délimitation de la Champagne viticole. Cette requête aboutit à la loi du 1er août 1905 qui définit une zone circonscrite au département de la Marne, n’englobant que les trois arrondissements de Reims, épernay et Châlons et excluant de fait les zones situées dans l’arrondissement marnais de Vitry-le-François et les départements de l’Aisne et de l’Aube.

 

La présente pétition, conservée dans le fonds des archives communales de Saulchery, s’inscrit dans la continuité de la vague de protestations émises dans l’Aisne dès 1905. Le « vœu émis par la Sous-Commission, vœu tendant à exclure du périmètre de la Champagne une partie de l’arrondissement de Château-Thierry » fait clairement référence à la décision radicale de 1905. Les vignerons et négociants de l’Aisne invoquent plusieurs éléments en faveur de l’intégration de leur terroir dans la zone de délimitation de la Champagne viticole : la continuité du vignoble par delà la frontière marno-axonaise, l’approvisionnement par les vignerons marnais en moûts et raisins axonais, le moindre coût des vins produits dans l’Aisne et le soutien apporté par Paul Krug pour l’intégration des côteaux axonais dans la délimitation. Paul Krug (1842-1910), président du puissant Syndicat des vins de Champagne et qui a été à l’origine de la demande de 1903, a fortement appuyé les prétentions de l’arrondissement de Château-Thierry.

 

Ce document illustre également les rapports tendus entre vignerons marnais et axonais, les premiers ayant cédé « à des parti-pris d’intérêts locaux surexcités par des inquiétudes chimériques ». La fédération des vignerons marnais s’oppose vigoureusement en 1905 et 1906 aux coteaux axonais essentiellement plantés en cépages pinot meunier.

 

Les nombreuses discussions aboutissent à la loi du 5 août 1908 qui modifie l’article 11 de la loi de 1905 et précise que l’on peut statuer par décret pour établir « la délimitation des régions pouvant prétendre exclusivement aux appellations de provenance des produits. Cette délimitation serait faite en prenant pour base les usages locaux et constants ». Le décret du 17 décembre 1908 délimite la Champagne viticole et inclut 46 communes des cantons de Charly-sur-Marne, de Château-Thierry et de Condé-en-Brie et 36 des cantons de Braine et de Vailly-sur-Aisne.

 

La loi de 1927 confirmera la délimitation viticole établie en 1908, ajoutant également certaines communes auboises qui avaient été primitivement écartées. Des 407 communes désormais retenues, 58 sont axonaises ; Saulchery figure bien entendu dans cette zone d’appellation.