Les premières heures de la catastrophe de Vierzy, relatées par le sous-préfet de Soissons

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Le 16 juin 1972 à 20h54, deux autorails de la ligne Paris/Laon percutent des éboulis résultant de l’effondrement d’une partie de la voûte du désormais tristement célèbre tunnel de Vierzy, près de Soissons. Cette catastrophe, la troisième plus dramatique de l’histoire ferroviaire française, provoque la mort de 108 personnes, toutes axonaises. Cinquante ans après, nous vous proposons de revenir sur cet événement tragique grâce à ce document d’archives issu du fonds du cabinet du préfet.

Il s’agit d’un rapport rédigé par le sous-préfet de Soissons à destination du préfet de l’Aisne. La finalité de ce rapport, envoyé le 20 juin 1972, est double : en plus de dresser un état des lieux précis et horodaté des événements qui ont suivi l’accident, le sous-préfet cherche également à rendre compte et à justifier ses actions auprès de son supérieur hiérarchique.

Plusieurs éléments sont mis en évidence par ce document.

Tout d’abord, la rapidité avec laquelle l’alerte a été donnée. Dix minutes après l’accident, la gendarmerie la plus proche (celle d’Oulchy-le-Château) est avertie, ainsi que le centre de secours d’Hartennes-et-Taux et le centre hospitalier de Soissons. Le sous-préfet arrive sur les lieux à 21h40 et rentre dans le tunnel pour constater l’ampleur des dégâts.

Le deuxième élément notable est l’impressionnant dispositif mis en place pour faire face à ce type de catastrophe. La clé de voûte en est le plan ORSEC, déclenché à 21h55, soit une heure après l’accident, par le préfet de l’Aisne sur recommandation du sous-préfet. Il s’agit d’un programme d’organisation des secours à l’échelon départemental. Les acteurs mobilisés lors de cette soirée à Vierzy sont nombreux : élus, services de secours, services médicaux, gendarmerie, services de l’Équipement et même le 67e régiment d’infanterie ainsi que des entreprises privées principalement en charge des opérations de déblaiement et d’installation de l’éclairage au sein du tunnel. Il faut également citer un acteur qui n’est que succinctement évoqué dans ce rapport, à savoir la population de Vierzy et des alentours qui a fait preuve d’une solidarité et d’une implication exemplaires. Des témoignages rapportent que les jeunes ont parcouru plusieurs kilomètres pour prévenir les secours, quand les plus âgés préparaient le café pour les rescapés et les secouristes. Sans oublier l’altruisme des nombreux volontaires qui ont proposé spontanément de donner leur sang.  

En troisième et dernier lieu, ce document met en lumière les difficultés rencontrées dans les premières heures de la catastrophe. Les sauveteurs se sont rapidement heurtés aux spécificités d’un accident ayant eu lieu sous un tunnel : l’absence d’éclairage, la poussière, les odeurs de mazout, les gaz d’échappement ainsi que les éboulis rendent la progression des sauveteurs impossible sans matériel adéquat. Or, il a fallu attendre peu avant minuit pour que des groupes électrogènes, des bouteilles d’oxygène, des appareils spécialisés de désincarcération parviennent jusqu’aux sauveteurs. Sans compter que le tunnel est long de 1350 m, que les collisions ont eu lieu quasiment au centre et qu’il faut au moins dix minutes pour s’y rendre à pied. De plus l’effondrement d’une partie de la voûte ayant totalement bloqué la communication au sein du tunnel, deux chantiers de secours ont dû être mis en place, de part et d’autre des éboulis. Enfin, la communication est rendue extrêmement délicate du fait de l’orage survenu dans l’après-midi et qui a fortement endommagé les réseaux téléphoniques. Tous ces facteurs permettent de rendre compte de l’aspect périlleux des opérations de sauvetage et mettent en lumière l’héroïsme des sauveteurs qui ce soir là sont entrés dans le tunnel de Vierzy pour sauver le plus de vies humaines, au péril de la leur.

Le rapport ne relate les faits que jusqu’à minuit, mais les opérations de sauvetage dureront jusqu’au 18 juin, à 16h, lorsque le dernier rescapé est évacué du tunnel. Malgré les moyens mis en œuvre, le bilan est dramatique. Sur les deux cent cinquante passagers que comptait les deux autorails, on dénombre cent huit morts et cent onze blessés graves. L’émotion est vive dans l’ensemble du pays et en particulier dans l’Aisne. Le 12 juillet 1972 est créée l’Union des victimes et familles de victimes de la catastrophe de Vierzy qui met la pression sur les pouvoirs publics pour que la lumière soit faite sur les circonstances de ce drame. Trois commissions d’enquête sont ouvertes et aboutissent à la conclusion que l’effondrement de la voûte est liée aux travaux de rénovation entrepris quelques mois plus tôt. Le 14 mai 1976, le tribunal correctionnel de Soissons condamne pour homicides et blessures involontaires cinq fonctionnaires impliqués dans la rénovation du tunnel à des peines de prison avec sursis.

La catastrophe de Vierzy a profondément marqué les esprits et a permis de nombreuses améliorations. Tous les tunnels ferroviaires de France ont été rénovés dans les dix ans qui ont suivi la catastrophe, les procédures d’urgences ont été revues et ont gagné en efficacité. Enfin, le traumatisme causé par ce drame a fait prendre conscience de la nécessité de mettre en place des cellules d’urgence médico-psychologiques à destination des victimes mais aussi des sauveteurs. Cela aboutira même à la création en 1983 d’une spécialité médicale : la médecine de catastrophe.