Les dommages mobiliers agricoles

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Les dossiers de dommages de guerre du dernier conflit mondial réservent de nombreuses surprises. C’est le cas d’un dossier contenant la photographie d’un jeune veau.

 

Le bovin en question appartient à la famille Delaruelle, résidant à Wassigny dans l’arrondissement de Vervins. Alfred Delaruelle et son fils André sont en effet exploitants agricoles dans cette commune. En mai 1940, leur ferme est sinistrée lors des combats et de l’occupation allemande qui s’en suit. Alfred Delaruelle étant mort le 20 mai 1940, c’est son fils qui se charge, au retour de l’exode, de reconstituer les éléments de l’exploitation. À la Libération, il remplit un dossier de dommages de guerre relatif à ses dommages mobiliers agricoles, enregistré par la direction départementale du ministère de la Reconstruction sous la référence DAM n° 3167.

 

 

Les pertes

 

Un procès-verbal d’expertise, dressé en 1945, donne un aperçu de l’importance de la ferme. Il s’agit d’une exploitation mixte de 46 hectares dont le cheptel est constitué de 10 chevaux et 59 bovins. Parmi les équidés, on recense 5 poulains, 4 hongres et 1 jument poulinière, tous de la race trait du Nord. Les poulains ont été acquis en 1938 et 1939.

 

Les bovins, de races normande et hollandaise pie-noire – plus connue actuellement sous le nom de prim’Holstein – sont élevés pour leur lait (race hollandaise) et leur viande (race normande). Le troupeau comprend notamment un taureau de race hollandaise, âgé d’un an, dont le certificat d’inscription au herd-book de la race hollandaise pie-noire est joint au dossier. Né le 14 février 1939 à Forest, dans le département du Nord, il s’appelle Reintje’s kees et porte le numéro 19 871. Son certificat est provisoire et la photographie qui l’illustre est celle du jeune veau. André Delaruelle déclare également 15 vaches hollandaises, 5 vaches normandes, 23 génisses et 15 veaux de moins d’un an. Certaines vaches hollandaises sont également pourvues d’un certificat d’inscription au herd-book français de la race hollandaise pie-noire.

 

Les herd-books, ou registres généalogiques des races bovines, existent depuis 1855 en France. Le premier fut créé pour la race Durham importée d’Angleterre. Celui de la race hollandaise pie-noire a été institué en 1922. Il s’agit de maîtriser les informations de filiation des bovins dans la perspective de maintenir les qualités de la race. La hollandaise est en effet élevée depuis le XVIIIe siècle aux Pays-Bas avant de se répandre aux XIXe et XXe siècles en Europe et en Amérique du Nord pour sa productivité laitière. Le fait d’intégrer les certificats d’inscription au herd-book au dossier de dommages de guerre permet de prouver le pedigree de l’animal et par conséquent sa valeur. Les calculs des indemnités prennent effectivement en compte l’inscription ou non des animaux sur les arbres généalogiques.

 

En plus de son cheptel, André Delaruelle déclare également avoir perdu : du matériel agricole, une automobile Renault de 11 cv réquisitionnée par deux soldats allemands le 27 mai 1940, des récoltes en terre et plantations ainsi que divers produits nécessaires à l’exploitation (engrais, etc.). Il insiste également sur les dégâts occasionnés à la couverture des bâtiments.

 

 

La reconstitution

 

Dès 1941, André Delaruelle cherche à reconstituer son cheptel et ses éléments d’exploitation. Pour être indemnisé par le ministère de la Reconstruction, il présente un dossier de dommages de guerre qu’il constitue à partir de 1945. Il y joint les justificatifs nécessaires. De l’étude de ce dossier, on apprend notamment qu’il a acquis de nouveaux chevaux dès 1941 et que les reçus de l’achat des poulains en 1938 et 1939 sont bien présents.

 

André Delaruelle demande également une indemnisation pour sa voiture. Il dispose pour cela du bon de réquisition fourni par les soldats allemands sur lequel figurent la date de la réquisition et la valeur du véhicule. À sa première demande en 1941, il se voit opposer un refus de la préfecture au motif que « le dommage étant survenu le 27 mai 1940 antérieurement à l’armistice ne peut être réglé au titre des réquisitions effectuées par les troupes d’occupation ». Il lui faut attendre 1944 pour que sa réclamation soit prise en compte. En 1946, il achète une nouvelle automobile de marque Peugeot pour 75 000 F.

 

Si André Delaruelle entame ses démarches d’indemnisation dès la fin 1944, il doit cependant attendre 1956 pour recevoir la totalité de l’indemnité fixée en 1953 à 979 030 F, dont plus de 853 000 F pour le cheptel vif.

 

De tels dossiers de dommages de guerre portant sur le cheptel et le matériel agricole sont assez fréquents parmi les 15 000 dossiers encore conservés par les Archives départementales de l’Aisne. Il est néanmoins rare d’y trouver des documents semblables. Les photographies de vaches et de chevaux et leurs certificats d’origines permettent de témoigner du quotidien des sinistrés, à l’égal des clichés d’une construction ou d’un intérieur de maison. Elles constituent ainsi un témoignage rare et enrichissant.