La vidange des latrines de l’hôpital général de Laon. Une opération de salubrité en 1785

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Fondé en 1668 sous l’impulsion de l’évêque César d’Estrées, l’hôpital général a pour objectif luttait initialement contre la mendicité. Rapidement, il ouvre également ses portes aux orphelins, aux infirmes et aux vieillards. Il s’agit donc d’un établissement de charité mais aussi de répression qui fait l’objet d’un agrandissement en 1742 et de travaux d’entretien récurrents.

Au cours du XVIIIe siècle, l’accroissement de sa population et la promiscuité amènent les autorités de cet établissement à s’interroger sur la salubrité des lieux, l’entretien des latrines et la gestion des ordures. Rappelons qu’au cours du siècle des Lumières, la salubrité est une notion de plus en plus prise en compte. C’est ainsi que les cimetières sont peu à peu déplacés hors les murs des villes, que les boucheries et l’évacuation des déchets sont surveillées ou que les fontaines font l’objet de soins et de nettoyage réguliers.

La vidange des latrines de l’hôpital général consiste ici à vider le sous-sol des immondices que sont les « matieres fecales et ordures ». Cette intervention répond à plusieurs objectifs : la lutte contre les potentielles sources de contamination et d’épidémies et l’évacuation des déchets et ordures nauséabondes qui corrompent l‘air. Mais à Laon, cette opération de salubrité revêt aussi un caractère plus particulier : l’amoncellement de déchets dans le sous-sol laonnois fragilise les fondations des constructions. De même, les sources d’eau peuvent être infectées par la stagnation des déchets.

 

L’adjudication des travaux de vidange « des latrines a l’usage des femmes dudit hopital », est passée devant maître Rousseau, notaire à Laon, le 13 février 1785. Le marché est attribué à Jean-Claude Berthe, maître couvreur à Laon, qui s’engage à employer 8 ouvriers pour nettoyer les « chasses » souterraines formant les latrines de l’hôpital général.

 

Un dessin récapitulant cette opération a été conservé : il représente une coupe stratigraphique du sous-sol de l’hôpital général. Sous le pavé, le massif de terre a été percé et des parois ont été maçonnées. Au-dessous, la roche est identifiée en deux strates bien distinctes : « ban de roche ferme » et « gris ban de roche dure ». Les chasses qui accueillent les immondices sont encore au niveau inférieur, sur le banc de glaise représenté tout en bas. Depuis le pavé de la cour de l’hôpital jusqu’au banc de glaise, la profondeur avoisine les 12 ou 13 mètres.

Sur ce dessin figurent quatre ouvriers portant des hottes sur leur dos. Celui tout en bas, dans le niveau des carrières, extrait les ordures. Deux autres, progressant sur des échelles, remontent leurs hottes remplies de déchets. Enfin, le dernier, sur le pavé, s’apprête à redescendre dans le sous-sol.

 

Le marché précise qu’une fois extraites du sous-sol, « les matieres fecales et ordures sortiront dudit hopital par une porte qui sera pratiquee expres dans une fenestre d’une chambre donnant sur la rue Marion, de laquelle porte l’adjudicataire aura la clef qu’il sera tenu de remettre tous les jours a la fin a la sœur superieure ». Enfin, ces déchets seront évacués « aux endroits qu’il leur seront indiqués par messieurs les officiers de police ».

Cette idée de salubrité et d’évacuation des déchets en dehors de la ville n’est pas nouvelle. Déjà au XIVe siècle, les autorités urbaines de Laon obligeaient les habitants à jeter leurs détritus dans des emplacements bien déterminés et tout contrevenant se voyait infliger une amende.

 

Par sa quittance signée le 11 avril 1785, l’entrepreneur Berthe reconnait finalement avoir touché 1 000 livres en guise de rémunération pour lui et ses ouvriers. Nous y apprenons que la vidange a duré un mois et que les déchets ont été transportés près du rempart Saint-Just, au nord du plateau, dans un trou creusé à cet effet.

 

Ce document apporte un éclairage inédit et illustré sur l’histoire de l’hygiène au XVIIIe siècle, mais aussi sur l’archéologie bien spécifique de la butte de Laon.

 

Sources complémentaires : 92 E 26 (minutes de maître Rousseau, 1785).