La soupe près (de) Craonne

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La photographie légendée « La soupe près Craonne » fait partie des nombreuses photographies illustrant le quotidien des soldats de la Première Guerre mondiale conservées dans la série Fi (documents figurés) des Archives départementales de l’Aisne.

 

Quelques précisions sur le support. Il s’agit d’une diapositive monochrome (plus particulièrement sépia) sur plaque de verre en vue stéréoscopique. Ce type de photographie est destiné à être vu par transparence ou projeté. La stéréoscopie, c’est-à-dire la juxtaposition des deux images, permet de recréer la sensation du relief.

 

La discipline de la photographie connaît de rapides progrès techniques dès la fin du XIXe siècle. Les frères Lumière mettent au point la plaque photographique sèche, disponible dans le commerce dès les années 1890. Auparavant, le photographe devait étaler l’émulsion photographique sur le verre humide au moment de l’emploi. De plus, la pratique amateur se développe grâce à une industrialisation notamment d’appareils d’utilisation simple, de taille réduite et de faible coût. Au début du XXe siècle, la mode est à la prise de vue stéréoscopique de reportage sur la vie familiale et sociale.

 

Dès lors, au déclenchement de la guerre, bon nombre de poilus emportent dans leur paquetage un appareil photographique comme le Vérascope[1] pour fixer leur quotidien. À l’été 1915, le haut commandement de l’armée française interdit l’usage d’appareils photographiques non autorisés, alors que quelques mois plus tôt est créée la Section photographique de l’armée (SPA). Les opérateurs officiels de l’armée sont alors les seuls susceptibles de prendre des clichés dans les zones de combat à des fins de propagande et de mémoire immédiate du conflit. Pourtant, malgré la règlementation, des milliers de photographies sont prises par les soldats pendant toute la durée de la guerre (très peu toutefois pendant la guerre de mouvement de la fin de l’année 1914). Au même titre que les jeux de cartes ou l’artisanat, la photographie apparaît comme un loisir, certes pratiquée essentiellement par des officiers, au gré des longs moments d’attente au front.

 

En ce qui concerne ce document, ni l’auteur ni la date nous sont connus, mais la légende sur la plaque ainsi que l’iconographie elle-même indiquent l’extrême proximité de la zone de combat : le secteur de Craonne sur le Chemin des Dames, qui reste au cœur du front tout au long du conflit. Ainsi, le village de Craonne est détruit dès septembre 1914 lors de la première bataille de l’Aisne. Ce cliché a donc été pris dans un village des alentours (où subsistent encore les murs de l’église), à l’abri des premières lignes, très certainement en 1917. Le photographe choisit de fixer un moment emblématique de la vie quotidienne militaire : quand les hommes se pressent autour de la roulante. La cuisine roulante est un engin mobile qui peut se déplacer jusqu’à la tranchée pour les nourrir. Ici, l’homme de soupe (le cuisinier) à cheval sur sa roulante distribue la popote à des soldats dont le visage reste enfoui sous leur casque.

 

Si cette photographie figure un moment de répit dans une guerre terriblement inhumaine, elle est cependant un rare exemple au sein du fonds dont elle est issue. Ce fonds, comportant 125 autres plaques de verre et coté 55 Fi, s’intitule Champs de bataille de l’Aisne. Il est essentiellement constitué de photographies montrant la terre avec ses tranchées et son encombrement de matériel de guerre, des villages rasés, des monuments en ruine, des forêts ravagées et des cadavres abandonnés. L’ensemble du 55 Fi sera prochainement mis en ligne dans la rubrique « archives numérisées ».

 

 

Bibliographie :

Frédéric Lacaille, Anthony Petiteau, Photographies de poilus, soldats photographes au cœur de la Grande Guerre, Paris, Somogy éditions d’art, 2004 (Arch. dép. Aisne, 4° 897)

 

 

[1] Vérascope Richard : modèle typique d’appareil stéréoscopique, certainement utilisé ici.