« J'ai le plaisir de vous offrir une tasse de chocolat… »

Correspondance de la famille Quellenec, H-dépôt 5 T 3.
Lettre du 28 février 1921, H-dépôt 5 T 3.
Lettre du 5 novembre 1922, H-dépôt 5 T 3.
Lettre du 18 novembre 1932, H-dépôt 5 T 3.

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Une lectrice des Archives départementales a inspiré la rédaction de ce document du mois. Venue effectuer une recherche généalogique sur l'aviateur Frédéric Quellennec tué au combat le 31 mars 1916 près de Laon, elle a permis aux archivistes de se replonger dans les lettres émouvantes écrites par la famille Quellennec. Celles-ci sont conservées au sein du fonds de l’Hôtel-Dieu de Montreuil-sous-Laon, qui renferme sous la cote H-dépôt 5 T 3 la correspondance avec le directeur de l’établissement entre 1920 et 1938.

Découvrez le déroulé de ces lettres, du projet de l’élévation d’une tombe à la mémoire de leur fils aux remerciements annuels pour le soin apporté à la tombe par les pensionnés…

 

Frédéric Quellennec est né le 15 février 1888 à Athènes (Grèce). Il est étudiant à l'école polytechnique de Zurich en Suisse quand il se fait enregistrer au bureau de Versailles sous le matricule n°256 en 1908. Sa fiche matricule est consultable en ligne sur le site Internet des Archives départementales des Yvelines.

En 1911, il est incorporé au 1er régiment du génie. Il est mobilisé le 3 août 1914 au 13e régiment d'artillerie de campagne et passe au 13e régiment d’artillerie du service automobile en janvier 1915. Il est nommé brigadier le 10 décembre 1915 du 1er groupe d’aviation à Dijon et assure des missions spéciales à bord d’un avion de type Nieuport. Il meurt au champ d’honneur le 31 mars 1916 près de Laon.

 

Le 31 mars 1916, à 7 heures du matin, une escadrille allemande bombarde le terrain d'aviation de Rosnay (Marne). L'escadrille française N 12 riposte à cette attaque en bombardant l'aérodrome de Laon. Le brigadier Frédéric Quellennec et le lieutenant Jean Moinier, observateur, sont tués au combat dans un pré appartenant à l’hospice de Montreuil-sous-Laon. Ils seront inhumés temporairement au cimetière Saint-Vincent à Laon.

 

Correspondance

Les lettres conservées sont celles de la famille Quellennec. La correspondance est tenue par Édouard Quellenec, le père du défunt et Jacques, son frère. À partir de 1922, la correspondance sera uniquement suivie par son frère.

Les lettres sont adressées au directeur de l’hospice de Montreuil-sous-Laon, propriétaire du terrain où doit être élevée la sépulture de Frédéric Quellennec. Quelques lettres du directeur ont été conservées sous forme de brouillon.

Les premières lettres sont manuscrites, écrites sur un papier à lettre personnalisé à l’adresse de la famille. Parfois, la carte de visite est jointe au courrier quand la missive est courte. À partir de 1932, les lettres sont tapées à la machine mais signées à la main.

 

  • Le 11 octobre 1920

Lettre du directeur
Le directeur de l’hospice sollicite le préfet de l’Aisne pour l’instruction du dossier concernant la demande de la famille Quellennec.
Il s’agit d’une ébauche de courrier écrite sur les pages détachées d’un cahier.

  • Le 26 octobre 1920

Lettre de Jacques Quellennec (photo 2)
Jacques Quellenec demande au directeur d'appuyer le projet familial d'élever un monument à la mémoire de son frère.
Je viens donc aujourd'hui vous demander Monsieur le directeur d'obtenir si cela est possible l'autorisation d'élever une tombe définitive à nos héros dans le terrain qui dépend de votre hospice.

La lettre est écrite par Jacques, le frère aîné de Frédéric. Jacques Quellenec a servi à des missions spéciales pendant la Première Guerre mondiale dans la même escadrille que son frère. Lors de l’attaque aérienne du 31 mars 1916, il perd son frère Frédéric et un camarade, Jean Moinier, observateur.
Retrouvez une photo de Jacques Quellenec posant devant son avion en 1915 sur Gallica.

 

  • Le 5 février 1921

Lettre de Jacques Quellennec
La famille Quellennec a appris de façon détournée l'exhumation et la réinhumation prochaine des corps. Jacques regrette d’avoir été informé aussi tard et que les formalités pour l’obtention du terrain ne soient pas encore terminées alors que le projet du monument est fini. Il sollicite un rendez-vous avec le préfet.
Le projet du monument est fini, j’en apporterai une vue à Laon mardi et je vous serais reconnaissant de me ménager ce jour-là un entretien avec le préfet, si c’est possible, pour hâter peut-être la solution de cette affaire.

 

  • Le 28 février 1921

Lettre d’Édouard Quellennec (photo 3)
Monsieur Quellenec remercie le directeur de l'entrevue accordée le 8 février. Il joint à sa lettre un croquis détaillé pour l'élévation future du monument et sollicite la recommandation d'un maçon pour exécuter ce monument.
Ce croquis montre que le tombeau proprement dit avec sa stèle aura 1m x 2 m; il sera entouré d’une grille (ou autre entourage) de 2m,20 x 4m ; l’espace clôturé sera donc de 2m,50 x 4 m (...).
Il demande au directeur de procéder à un acte en règle pour attribuer à son fils Jacques la propriété du terrain.
Monsieur Quenellec assure de la reconnaissance que madame Quellenec, son fils et lui-même conservent pour la sympathie et le dévouement du directeur dans cette émouvante circonstance.

  • Le 4 mars 1921

Lettre d’Édouard Quellennec
La famille a reçu de la mairie le permis d'inhumation et souhaite procéder sans plus tarder à la construction des fondations du monument. Monsieur Quellennec fera appel à l’entreprise officielle des Pompes funèbres de la Ville de Laon pour la confection du cercueil.

 

  • Le 21 avril 1921

Lettre d’Edouard Quellennec
Monsieur Quellennec informe le directeur de sa venue prochaine à l’Asile de Montreuil. Les plans et devis du monument sont prêts, il propose de lui montrer une vue en perspective de ce monument.

 

  • Non datée, reçue par le directeur le 9 septembre 1921

Lettre de Jacques Quellennec
Jacques joint à son courrier la lettre à transmettre au préfet. La demande pour la sépulture ne concerne finalement que le corps de Frédéric, la famille Moinier ayant souhaité ramener le corps de leur fils auprès d’eux à Besançon.
Jacques informe le directeur que son père peut se rendre à Laon pour superviser les travaux.
Enfin si vous croyez que la présence de mon père est nécessaire n’hésitez pas à me le dire ; mon père est ingénieur des Ponts et Chaussées et officier de la Légion d’Honneur il ira certainement vous remercier ainsi que M. le Préfet mais il fera surement une démarche tout de suite si je lui demande.

 

  • 1922, mardi matin

Lettre de Jacques Quellennec
Jacques informe le directeur de son obligation de remettre à la semaine prochaine sa venue à Laon, l’entrepreneur n’était pas libre à la date convenue.

 

  • 1922, jeudi soir

Lettre de Jacques Quellennec
Jacques confirme le nouveau rendez-vous avec l’entrepreneur pour la construction du monument et espère la présence du directeur.

 

  • Le 9 avril 1922

Lettre d’Édouard Quellennec
Monsieur Quellenec fait part de ses difficultés pour l'exécution du monument.
Par la faute du marbrier à qui je me suis adressé, j’ai éprouvé toutes les difficultés et les retards du monde pour l'exécution du monument que je veux élever à mon cher fils Frédéric.
Il prévoit un déplacement prochain à Laon avec le marbrier en espérant pouvoir rencontrer le directeur à cette occasion. Il fait part de ces disponibilités entre le 10 et le 22 avril.

 

  • Le 5 mai 1922

Lettre de Jacques Quellennec
Un nouveau rendez-vous est fixé au 11 mai pour arrêter les dernières dispositions de mise en place des pierres du monument. Jacques remplacera son père pour cette entrevue.
Il se trouve malheureusement qu’il a été obligé de partir pour Tanger et m’a chargé de le remplacer.
Une note manuscrite du directeur confirme le rendez-vous pris.

 

  • 14 juin 1922

A été joint à la correspondance une lettre de l’entreprise générale des Sépultures de Paris, à l’attention du directeur.

 

  • Le 25 juillet 1922

Lettre d’Edouard Quellennec
La famille Quellenec souhaite que l'aumônier qui a été témoin de l’accident d’avion, le 31 mars 1916, célèbre la cérémonie.
Si l'Aumônier de votre Asile qui a été témoin de la chute de l’avion que notre cher fils pilotait vit toujours, c’est à lui que nous nous adresserons pour le service religieux. Voulez-vous, s’il est toujours là, le présenter à ce sujet et m’indiquer sa réponse (...).
Monsieur Quellennec informe le directeur qu’il prévoit se rendre prochainement à Laon pour s’entendre avec lui sur les autres détails de la cérémonie.

 

  • Le 22 septembre 1922

Lettre de Jacques Quellennec
Jacques informe le directeur que la date pour le transfert du corps au sein de la tombe est fixée au 12 octobre prochain.
Nous voudrions savoir si cette date vous convient et c’est pourquoi je vous envoie ce petit mot.
La démarche sera faite auprès de l’autorité militaire dès la confirmation du directeur.
Une note en marge confirme que l'aumônier et le directeur n'ont aucune objection pour le choix de la date fixée par la famille.

 

  • Le 27 septembre 1922

Lettre de Jacques Quellennec
Remerciement de la lettre reçue. Jacques informe le directeur que les détails de la cérémonie n’ont pas encore été fixés.
Je reparlerai dimanche avec ma mère de tout cela et vous enverrai un petit mot dès lundi. En vous remerciant cher monsieur de tout ce que vous faites pour nous je vous prie de croire à mon meilleur souvenir.

 

  • Le 6 octobre 1922

Lettre d’Édouard Quellennec
La date de l'inauguration du monument est fixée au 12 du mois d'octobre.
Nous souhaitons que la cérémonie soit très simple et nous vous prions d’informer l'aumônier de votre Asile que nous lui demandons de vouloir bien dire les dernières prières sur la tombe définitive de notre cher enfant.
Monsieur Quellenec arrivera par le train pour assister à la cérémonie.

 

  • Le 5 novembre 1922

Lettre d’Édouard Quellennec
La famille Quellenec n’a pu se rendre sur la tombe pour la fête des morts. Monsieur Quellennec adresse ses remerciements au directeur et à son épouse pour le soin apporté à la cérémonie du 12 octobre dernier.
En souvenir de leur cher enfant, monsieur Quellenec joint un chèque de 550 francs pour soutenir les bonnes œuvres de l’hospice dont 50 francs pour remercier le travail du menuisier.
Permettez-moi de vous remettre pour les pauvres de votre hospice en souvenir de notre cher enfant une somme de cinq cent cinquante francs dont vous disposerez comme vous voudrez pour faire quelque bien et donnez quelque douceur à ces pauvres déshérités.
Le chèque-virement ne sera pas encaissé. Il a été archivé à la correspondance.

 

1923 à 1931
Pas de correspondance archivée.

Monsieur Edouard Quellennec décède le 21 mai 1927 à Paris.


Un article des Tablettes de Laon du 23 novembre 1929 a été conservé dans la correspondance du directeur.
« Sur la tombe de l’aviateur Quellennec »
Chaque année, par une pieuse coutume, la petite colonie bretonne de Laon qui, chez nous, a acquis droit de cité, et conserve le culte du souvenir se rend, en un pieux pèlerinage, sur la tombe de l'enfant de l'Armor qui se trouve à Montreuil, près du passage à niveau.
(...) Mes chers Compatriotes, Il y a un devoir impérieux qui m'incombe d'abord c'est d'adresser à l'administration de Montreuil, nos sincères remerciements pour les soins qu'elle apporte à ce coin de terre faite bretonne par le sang et le sacrifice.

 

  • 17 novembre 1932

Lettre du directeur (ébauche de courrier)
La lettre fait suite à un récent échange. Le directeur précise dans son courrier à combien s'élèverait le service d’un café et celui d’un chocolat à chaque pensionné.
Je m’empresse de vous faire savoir que la dépense résultant d’un service de café aux hospitalisés de Montreuil, en dehors du régime normal, s'élève à 75 francs. Le prix d’un service de chocolat s'élèverait à 105 francs.

 

  • 18 novembre 1932 (photo 4)

Lettre de Jacques Quellennec tapée à la machine
Remerciement du courrier en date du 17 novembre et des renseignements donnés. Jacques Quellennec s’est rendu sur la tombe de son frère et renouvelle ses remerciements au directeur.
Je m’empresse de vous faire parvenir ci-joint la somme de 105 francs et suis très heureux de pouvoir offrir ainsi, une tasse de chocolat à chacun de vos hospitalisés.

 

  • 21 novembre 1932

Lettre du directeur
Le directeur accuse réception du chèque envoyé d’un montant de 105 francs en vue d’une distribution d’un chocolat aux hospitalisés de Montreuil.
Permettez-moi de vous exprimer tous mes remerciements pour cet acte de générosité en faveur des pensionnaires de notre établissement.

 

  • 16 novembre 1933

Lettre de Jacques Quellennec
Comme l'année dernière à pareille époque, je suis très heureux de vous faire parvenir ci-joint la somme de 105 Frs qui vous permettra d'offrir une tasse de chocolat à chacun de vos hospitalisés.
Demande de recommandation d’un peintre qui pourrait pour refaire la peinture de la barre de fer du monument. Dix ans après l’inauguration de la tombe, les petits travaux d’entretien sont toujours exécutés par les pensionnés de l’hospice mais des travaux de réfection semblent nécessaire à l'entretien du monument.
Je crois que ce travail devient nécessaire (...).

 

  • 18 novembre 1933

Réponse du directeur
Remerciements pour l’envoi d’un chèque permettant d’offrir une tasse de chocolat en faveur de ses pensionnaires. Recommandation de M. Drapier, entrepreneur en peinture à Vaux-sous-Laon, qui pourrait se charger des travaux de peinture du monument.

 

1934

Pas de correspondance archivée.

 

  • 8 novembre 1935

Lettre de Jacques Quellenec
Jacques Quellenec fait part de son regret de ne pouvoir se rendre à Laon cette année, comme l’année précédente. En témoignage de sa reconnaissance aux pensionnés, il fait parvenir un mandat de 105 francs pour leur offrir une tasse de chocolat.
(...) et cela ne me fait pas oublier les soins vigilants que vos pensionnaires donnent à la tombe de mon frère.

 

12 novembre 1935
Réponse du directeur
Remerciement du directeur de l'hospice pour ce nouveau témoignage de bienveillante sollicitude en faveur des pensionnaires.
Ainsi que vous m’en avez exprimé le désir, cette somme servira à faire une distribution de chocolat aux hospitalisés.

 

1936

Pas de correspondance archivée.

 

  • 5 novembre 1937

Lettre de Jacques Quellennec envoyée en recommandée
Jacques Quellenec fait part de son passage à Laon le 1er novembre. En remerciement du soin apporté à l’entretien de la tombe de son frère par les pensionnaires et en témoignage de sa reconnaissance, il joint une somme de 150 francs pour une distribution supplémentaire d’un chocolat.
Je sais combien la Direction de l'Hospice apporte de touchante fidélité à cet entretien, et c'est en témoignage de reconnaissance que je vous fais parvenir ci-joint une somme de 150 Frs. pour que vous puissiez faire, comme d'habitude, la distribution d'un chocolat supplémentaire aux hospitalisés.
Une note manuscrite de Jacques Quellennec fait mention de son passage à Laon et de son regret de ne pas avoir croisé le directeur.

 

  • 8 novembre 1938

Lettre de Jacques Quellennec envoyée en recommandé
Jacques Quellennec espère aller à Laon et remercier de vive voix le personnel de l'hospice.
Je n'ai pas encore eu l'occasion de passer à Laon cette année, mais ne voudrais pas retarder le moment où je vous envoie, comme tous les ans, ma modeste obole pour que vous puissiez offrir un chocolat à vos hospitalisés (...).
Je suis touché de la fidélité du souvenir des habitants de cette ville et notamment de toute la Direction de l'Hospice qui autorise les travaux de jardinage autour de la tombe de mon frère.

 

Depuis plus de 15 ans, la famille Quellennec offre chaque année une tasse de chocolat aux pensionnaires de l’hospice de Montreuil-sous-Laon en témoignage de la gratitude pour le soin qu’ils mettent à l’entretien de la tombe de Frédéric Quellennec.


La correspondance s'arrête avec cette lettre. Il est fort probable que la Seconde Guerre mondiale ait temporairement suspendu cette correspondance.
Jacques Quellennec décède le 24 août 1977 à Parmain, dans le Val d’Oise.

 

 

Le monument de l’aviateur Frédéric Quellennec

Le monument se situe près de l’ancien bâtiment des Archives départementales de l’Aisne, rue Fernand Christ, après l'intersection avec la voie de chemin de fer.

Le monument porte l’inscription :

Frédéric Quellennec
Ingénieur / Brigadier d’artillerie / Pilote aviateur / Escadrille N.12
Tué glorieusement en combat aérien le 31 mars 1916 à l’âge de 28 ans
Repose ici à la place où tomba son avion.

Photo de la sépulture sur la base de Généalogie Aisne

 

 

Ressources en ligne

Fiche matricule de Frédéric Quellennec
https://archives.yvelines.fr/ark:36937/s005c77ac083d442/5ea51f10bc5b760f6e326dc8b2

Base mémoire des hommes
https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/m005239fd532f651

La lettre du Chemin des Dames, novembre 2016, "Dans le ciel de Laon", p. 19.
https://fr.calameo.com/read/0033536060976e06b6905

Document du mois de juin 2018 des Archives départementales de l’Aisne
"La guerre de Jean Massenet : les mémoires d’un Axonais".
https://archives.aisne.fr/documents-du-mois/document-la-guerre-de-jean-massenet-les-memoires-d-un-axonais-86/n:85

René Chambe, Lettres du front.
https://generalrenechambe.com/2018/04/14/lettre-du-front-13-mars-1915-extrait/

René Chambe, Noël 1915 à l’Escadrille M.S. 12.
https://www.revuedesdeuxmondes.fr/article-revue/noel-1915-a-lescadrille-m-s-12/