Les procès d’animaux au Moyen Âge

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Le lendemain de Pâques 1494, la ferme de Clermont est le théâtre d’un événement dramatique : un jeune enfant au berceau, laissé seul dans sa maison, est mordu au visage et à la gorge par un jeune pourceau qui vagabondait dans les environs. L’enfant meurt peu de temps après. Très vite, le cochon est fait prisonnier et enfermé dans l’abbaye Saint-Martin de Laon. Un procès a lieu, des témoins sont entendus, les parents de l’enfant notamment. Jehan Le Voirier, licencié en loi et grand mayeur de l’abbaye, prononce une sentence à l’encontre du jeune pourceau qui est condamné à être étranglé et pendu près des fourches patibulaires par l’exécuteur des hautes œuvres.

 

Si cet évènement peut sembler insolite dans un premier temps, il n’est pourtant pas rare de voir des animaux conduits devant les tribunaux entre les XIIIe et XVIe siècles[1]. À cette époque en effet, les animaux peuvent être jugés de la même manière que les humains, pour des crimes ou des méfaits graves.

 

Ces procès sont de deux types. Les premiers sont prononcés par des tribunaux laïcs à l’encontre d’animaux domestiques (cochons, chevaux, bœufs, chiens, coqs, ânes, etc.) reconnus coupables de blessure ou d’homicide. La peine appliquée est souvent la mise à mort par la pendaison, le bûcher[2], la décapitation, etc. Des rituels d’exposition, d’humiliation ou de mutilation peuvent être associés selon la gravité du crime. Dans neuf cas sur dix, c’est un cochon qui est conduit devant le tribunal : l’animal est vagabond (il sert d’éboueur dans les grandes villes) et provoque inévitablement des accidents. Le propriétaire de l’animal, quant à lui, est rarement inquiété.

 

Les seconds procès sont prononcés par les autorités ecclésiastiques à l’encontre d’animaux de petite taille (insectes, rongeurs) qui détruisent les récoltes. Ces derniers sont plus difficiles à appréhender et s’apparentent davantage à des fléaux. Dès lors, on recourt à l’exorcisme, on les déclare maudits ou l’on procède à leur excommunication. Le témoignage le plus ancien d’un procès de ce genre concerne le diocèse de Laon, où l’évêque Barthélemy aurait, en 1120, déclaré maudits et excommuniés les mulots et chenilles qui avaient envahi les champs. L’année suivante, il réitère ses anathèmes à l’encontre de mouches.

 

L’animal incriminé subit toujours la même procédure que celle appliquée aux humains. Capturé vivant et enfermé dans la prison appartenant au siège de la justice compétente, il est mis en accusation. Une enquête est menée, les témoins sont interrogés. Le juge rend finalement sa sentence qui est notifiée à l’animal. Celui-ci est ensuite remis à la force publique chargée d’appliquer la peine.

 

Les raisons qui peuvent expliquer la tenue de tels procès au Moyen Âge sont multiples. La Bible, dans un premier temps, semble justifier de telles pratiques puisque le livre de l’Exode stipule que « si un bœuf a renversé un homme ou une femme et qu'ils en sont morts, le bœuf devra être lapidé. Ses chairs, en revanche, ne seront pas mangées, et le propriétaire du bœuf sera considéré comme innocent ». De plus, les animaux sont pour certains en partie responsables de leurs actes, dans la mesure où, comme tous les êtres vivants, ils possèdent une âme. Enfin et surtout, ces procès sont vus comme l’expression même de la bonne justice, dans la mesure où tout être vivant est soumis à son emprise : ils avaient alors une valeur d’exemple pour l’ensemble de la société.

 



[1]. L’historien Michel PASTOUREAU en a dénombré une soixantaine en France pour cette période. Voir son ouvrage intitulé Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental, Paris, Le Seuil, 2004.

[2]. C’est le cas d’un cochon condamné en 1612 à être assommé, brûlé et réduit en  cendre pour avoir dévoré en partie un enfant de quatorze à quinze mois à Molinchart (Arch. dép. Aisne, H 1508, n° 652).

 

 

Transcription

 

A tous ceulx qui ces présentes lettres verront ou orront. Jehan Le Voirier, licencié en loiz et grant mayeur de l’eglise et monastère de monseigneur sainct Martin de Laon, ordre de Premonstré, et les eschevins de ce même lieu salut. Comme il nous eust esté rapporté et affermé par le procureur fiscal ou sindicque des religieulx, abbé et couvent de Saint-Martin de Laon, que en la cense de Clermont lez Moncornet, appartenant en toute justice haulte, moyenne et basse aux dits religieux, ung jeune porciau eust estranglé et deffait ung jeune enfant estant au berseau, filz de Jehan Lenffant vachier de la dite cense de Cleremont et de Gillon sa femme, nous advertissans et requerans ad cette cause que sur le dit cas voulzissions proceder comme justice et raison le desiroit et requeroit ; et que depuis, adfin de savoir et congnoistre la vérité du dit cas, eussions oys et examinez par serement Gillon femme du dit Lenffant, Jehan Benjamin et Jehan Daudencourt censiers de la dite cense, lesquelz nous eussent dit et affermé par leur serement et consiences que le lendemain de Pasques dernier passé, le dict Lenfant estant en la garde de ses bestes, la dicte Gillon sa femme se partist de la dite cense pour aler au village de Disy distant de la dite cense de deux lieues ou environ adfin de recouvrir certains gaiges qui avoient esté prins en leur maison par ung soy disant sergent dangereulx des eaues et forestz du roy nostre seigneur et à son partement délaissa en sa maison le dict petit enffant avecques ce sa dite maison elle le recharga a garder a une syenne fille aagié d’environ neuf ans. Et ce fait s’en alla audit Disy pendant et durant lequel temps sa dicte fille s’en alla jouer autour de la dicte cense, ainsy que enffans ont accoustumez faire, et laissa le dict petit enffant couchié en son berceau ; et le dict temps durant, le dict porciau entra dedens la dicte maison qui n’est pas de grant fermeture et desfigura et mangea le visaige et gorge dudit enfant et sur icelles entrefaictes revint ladicte fille, laquelle commença fort a crier, mais ce neanmoins tost après ledict enfant, au moyen des morsures et desvisagement que luy fist ledict porciau desina de ce siècle et trespassa. Savoir faisons que nous oys l’affermacion desdictz et que avons congneu et sceu que le pere et mere dudit enffant n’en estoient coulpables, ne en coulpe, telle que pour leur en faire ou donner empeschement en corps ne en biens, nous en detestation et horreur du dit cas, adfin de exemplaire et garder justice, avons dit, jugé, sentencié, pronuncié et appoinctié le dit porciau estant detenus prisonnier ou enfermé en la dicte abbaye, sera par le maistre des haultes œuvres, pendu et estranglé en une fourche de bois auprès et joingnant des fourches patibulaires et haulte justice des dicts religieux estantes auprès de leur cense d’Avin par nostre sentence et a droit. Et en tesmoing de ce, nous avons scellé ces presentes de nostre scel. Ce fu fait le 4e jour de juing l’an 1494.