Dessine-moi l’hôtel de ville !

Vue de l'hôtel de ville de St. Quentin, 1780, gravure couleur (Arch. dép. Aisne, 6 Fi 454).
Vue de la place de l'Hôtel-de-Ville de Saint-Quentin aujourd'hui.

Voir toutes les images (2)

Ce document iconographique est en quelque sorte le jeu des 7 différences. Au premier coup d’œil, nous reconnaissons l’hôtel de ville de Saint-Quentin. Mais regardez bien, cette représentation de la place de l’Hôtel-de-Ville est purement imaginaire.

L’hôtel de ville de Saint-Quentin borde le côté nord de la place autrefois appelée « Grand-Place ». L’hôtel de ville a été achevé en 1509. Sa façade entièrement sculptée est de style gothique flamboyant.
Le rez-de-chaussée se compose d’une galerie de 7 arcades, l’étage dit « étage des Jurés » de 9 fenêtres et l’étage de comble de 3 pignons symétriques. Le premier campanile est érigé en 1647. En 1763, il est reconstruit et doté d’un carillon de 28 cloches. Le carillon de l’hôtel de ville est aujourd’hui composé de 37 cloches.

Regardez bien la gravure : l’hôtel de ville est représenté avec une façade à quatre niveaux. Une vue de la place de l’Hôtel-de-Ville presque imaginaire et pourtant, au premier coup d’œil, vous aviez reconnu Saint-Quentin, comme les collectionneurs de gravures de villes au XIXe siècle !

Le dessinateur de la gravure a effectivement représenté un niveau supplémentaire entre la galerie et le comble allongeant la silhouette de l’hôtel de ville d’un étage.
Autre détail insolite, le carillon n’est pas représenté. Il s’agit sans doute d’un problème de perspective ou d’une contrainte de place dans la réalisation du dessin. En effet, le petit lanternon surmontant le campanile rappelle l’architecture du carillon avant sa restauration du XIXe siècle. Il est cependant ici dépourvu de cloches.
Autre élément différent, la galerie n’est pas ouverte sur les côtés (l’espace a toujours été traversant et offre une vue imprenable sur la tour-porche de la basilique). Quant à l’étage noble, il est représenté avec deux rangées de 7 fenêtres au lieu de 9, sur un étage rompant avec l’harmonie de la façade (3 étages, 7 arcades, 9 fenêtres et 3 pignons).

Concernant la représentation générale de la Grand-Place, le dessinateur a choisi un angle de vue différent des gravures en circulation aux XVIIIe et XIXe siècles. En se positionnant dans l’angle nord-ouest, il offre une vue sur les maisons et commerces bordant la place et sur la basilique.
L’édifice au premier plan à quatre niveaux avec une façade à pan de bois bordée de niches, semble être une représentation imaginaire. Quant au vieux puits qui domine la place depuis 1719, représenté dans la gravure de Tavernier de Jonquières, il est absent de la gravure ! En arrière-plan, la collégiale est représentée avec une façade très stylisée et une flèche monumentale. Sa représentation s’éloigne de l’architecture de la basilique avec un frontispice classique et une flèche baroque à volutes. Une représentation atypique de la place de l’Hôtel-de-Ville.

Au verso de la gravure, une annotation manuscrite mentionne la date de 1780. La date est reprise dans la notice de la gravure et son titre.
La date proposée semble tardive par rapport à la représentation faite de la place de l’Hôtel-de-Ville. En 1780, le beffroi dominait encore le flanc nord de la rue Saint-André (en partie incendié à la Révolution, le beffroi sera démonté au début du XIXe siècle), mais n’est pas représenté sur la gravure. Un autre élément de datation est le pavoisement de l’hôtel de ville avec le drapeau tricolore et les costumes des personnages (robes à larges manches, bonnets avec larges bords, redingotes, manteaux longs et chapeaux hauts) de style Louis-Philippe qui permettraient d’avancer une datation autour de 1830.

Une inscription au bas du document mentionne le nom du marchand d’estampes « À Paris chez HOCQUART ainé, Successeur de Basset, rue St Jacques N° 64. ».
Edouard Hocquart, né en 1789 à Tournai, est marchand d'estampes, libraire et éditeur. Il est le frère ainé d’Adolphe Hocquart, libraire et éditeur. Il décède le 31 mai 1870 à Jouarre, en Seine-et-Marne. Il succède avant 1836 au marchand d'estampes Paul André Basset, installé au 64 de la rue Saint-Jacques à Paris. Les imagiers de la rue Saint-Jacques avaient grande réputation dans l’édition de gravures dès le XVIIe siècle.
La gravure a probablement circulé autour des années 1830, date correspondant à l’activité d’Hocquart Ainé.

En comparant la gravure conservée aux Archives départementales de l’Aisne à celle des Archives départementales de la Somme, nous pouvons constater des différences dans la peinture au pochoir.
La gravure conservée aux Archives départementales de l’Aisne a une dominante de rouge pour les costumes des personnages féminins et de jaune pour les personnages masculins (les couleurs sont inversées pour celle des Archives de la Somme). Quant à la gravure conservée aux Archives départementales de la Somme, les rehauts sont plus marqués au niveau de l’architecture et par un ciel bleu au lavis. La réalisation de la peinture au pochoir permettait de faire de chaque gravure une planche unique de collection.

Le XIXe siècle est le siècle de l'image. La production d'estampes connaît une explosion sans précédent. De nombreuses estampes de villes sont réalisées et vendues dans les librairies. Cette vue de la place de l’Hôtel-de-Ville de Saint-Quentin semble insolite pour un Saint-quentinois et pourtant, elle a dû faire le succès des libraires et vendeurs d’estampes au XIXe siècle qui proposaient des gravures de villes de provinces réalisées d’après récits malgré des détails anecdotiques et surprenants !