Charte de donation d’Enguerrand IV de Coucy à l’abbaye de Saint-Nicolas-au-Bois

H 352
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Le procès d’Enguerrand IV de Coucy, que l’on situe habituellement à l’été 1259, est resté célèbre dans l’histoire du règne de saint Louis. Il nous est connu par les Grandes Chroniques de France, qui relatent l’évènement : alors que trois jeunes gens de l’abbaye de Saint-Nicolas-aux-Bois s’étaient égarés dans un bois appartenant au seigneur de Coucy, ces derniers sont capturés par les hommes d’Enguerrand qui, les accusant d’être venus chasser sur ses terres, les fait pendre sans jugement. Mais ce n’est pas tant l’acte de cruauté du seigneur de Coucy envers ces trois jeunes gens que la sévérité du roi à l’encontre du baron qui a impressionné les grands de l’époque.

 


Convoqué par le roi pour répondre de ses actes à la suite d’une plainte de l’abbaye, Enguerrand récuse les compétences du Parlement de Paris et demande à être jugé par ses pairs. Les hommes du roi lui contestent ce droit dans un premier temps, avant qu’un conseil spécial comprenant des officiers royaux et des barons ne soit finalement constitué. Refusant de se soumettre à une procédure d’enquête qu’il juge indigne de son rang, le seigneur de Coucy demande une suspension de séance afin de se concerter avec les barons de son lignage. Pratiquement tous les seigneurs présents quittent la salle en sa compagnie, laissant le roi seul avec son entourage. Irrité par ce qu’il considère comme une démonstration de force en faveur de l’accusé, le roi refuse le « gage par bataille » que ce dernier lui demande et le fait conduire à la prison du Louvre. Il finit par le libérer sur les conseils de son entourage, tout en le condamnent lourdement : outre le paiement d’une amende de 10 000 livres parisis, Enguerrand doit céder à l’abbaye le bois où les jeunes gens ont été saisis et passer trois ans en Terre Sainte (peine qu’il rachète en 1261 contre le paiement de 12 000 nouvelles livres).

 


Le dossier H 352 conservé aux Archives départementales de l’Aisne est fondamental pour comprendre les suites données à cette affaire. Il comprend trois chartes en latin. La première est un vidimus où Louis IX approuve une charte de septembre 1259, par laquelle Enguerrand donne 10 muids de blé à l’abbaye à titre de restitution de bois provenant du trésorier de l’évêque de Laon et dont l’abbaye se disait avoir été injustement spolié par ses prédécesseurs, ainsi que 10 autres muids de bois pour le service funéraire des jeunes gens pendus. Le deuxième document est une charte scellée de délimitation du bois concédé par Enguerrand, datée de mars 1260 et elle-même vidimée par le roi dans une troisième charte.

 


Ce célèbre épisode de l’histoire de France est révélateur des luttes d’influence qu’entretiennent les seigneurs de Coucy avec les églises aux alentours : un homme d’Enguerrand est par exemple pendu dans des conditions similaires par le prévôt de Barisis en 1256. On constate également le décalage entre la peine prononcée par le roi et celle finalement appliquée : le bois qu’Enguerrand concède n’est plus celui où les jeunes gens ont été saisis, transformant la cession en un simple échange. La perte de ses droits de haute justice sur les bois et viviers n’est guère envisagée : pour preuve, un homme de corps de l’évêque de Laon en train de chasser sera capturé par les hommes du sire en 1278 et mourra de ses blessures en prison. La seule véritable concession du sire de Coucy concerne finalement la donation de 10 muids de bois supplémentaires pour le service funéraire des jeunes gens.

 

Le procès d’Enguerrand de Coucy démontre toutes les difficultés rencontrées par le pouvoir royal pour restreindre l’autorité des barons : ceux-ci demeurent à l’époque de saint Louis extrêmement puissants. Cet objectif sera néanmoins poursuivi par tous les souverains, notamment par Philippe le Bel et permettra progressivement de renforcer le pouvoir central et d’accroître le rôle de l’État.