Il y a 100 ans… Photographier la guerre

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Il y a 100 ans débutait la deuxième bataille de l’Aisne. Deux semaines avant le lancement de l’offensive française du Chemin des Dames voulue par le général Nivelle, cette photographie du village de Sinceny illustre déjà les ravages consécutifs à l’opération allemande dénommée « Alberich ».

 

Dès le mois de février 1917, le Grand Quartier Général allemand, informé des projets d’une grande offensive française, décide le repli stratégique de ses troupes sur la ligne « Siegfried » (aussi dénommée « Hindenburg » par les Alliés) afin de raccourcir le front existant. Cette ligne de défense allemande s’installe derrière des positions fortifiées considérées comme inexpugnables, passant dans l’Aisne par les faubourgs de Saint-Quentin, La Fère, les massifs de Saint-Gobain, jusqu’à Vailly-sur-Aisne.

 

L’opération de repli « Alberich » de l’armée allemande s’achève en mars 1917. Elle s’accompagne d’une évacuation sans ménagement des populations demeurées sur place, puis d’une destruction méthodique quasi industrielle par les Allemands du terrain ainsi abandonné à l’adversaire. Pour le général Ludendorff qui planifie cette tactique de la terre brûlée, il s’agit non seulement d’annihiler toute possibilité pour les Alliés de s’abriter dans cette zone mais aussi de la rendre extrêmement dangereuse en la minant. Les infrastructures, les ressources, les communes des arrondissements sud de Saint-Quentin et ouest de Laon sont anéanties. Si des monuments emblématiques disparaissent à l’exemple du donjon du château de Coucy dynamité le 27 mars, environ 200 villages sont détruits comme celui de Sinceny le 19 mars 1917.

 

Dès l’annonce du repli allemand, des opérateurs photographiques de l’armée française sont envoyés en mission pour accompagner les troupes alliées dans ce qu’elles pensent être une progression. Leurs images figent aussi les exactions, l’objectif étant de relayer dans la presse les actes de barbarie commis par l’ennemi. Tout au long de l’année 1917, ces clichés alimenteront la propagande, mais la S.P.C.A.[1] a aussi pour objectif de constituer un fonds documentaire pour les futures archives du conflit. En effet, ces clichés serviront d’inventaire des destructions du patrimoine, utile au lendemain de l’armistice pour obtenir les réparations financières de l’Allemagne, ainsi que pour les projets de reconstruction du territoire[2].

 

 

L’auteur de cette prise de vue du 31 mars 1917 se trouve alors en première ligne sur le front de l’Aisne. Ce type de photographie au format stéréoscopique 6 x 13 cm est privilégié par les opérateurs. Réalisés à partir de négatifs au gélatino-bromure d’argent couchés sur des plaques de verre, ces clichés sont pris par des appareils tenus à main levée et offrant une certaine liberté de mouvement.

 

Outre la légende (lisible au milieu des deux vues) permettant la localisation, un seul élément reste identifiable au milieu des ruines que représente cette photographie : une enseigne indiquant la présence d’un établissement « Goulet-Turpin ». En 1914, l’entreprise rémoise, pionnière dans le succursalisme, possède quelque 300 épiceries. La 225e succursale, celle de Sinceny comme l’indique la photographie, sera donc détruite, quand seules 7 seront encore en état de fonctionner à la fin de la guerre, illustrant l’ampleur de la reconstruction à venir.



[1] La Section photographique de l’armée (S.P.A.), créée en 1915, fusionne avec la section cinématographique de l’armée (S.C.A.) en 1917 pour former la Section photographique et cinématographique de l’armée (S.P.C.A.).

[2] Source : Lieutenant David Sbrava, « Entre inventaire et propagande : les destructions du patrimoine en Picardie vues par la Section photographique et cinématographique de l’armée (SPCA) », In Situ, 2014.