1414, temps d’effroi à Laon

ac_laon_cc_393_0001_1.jpg

Voir toutes les images (1)

 

Transcription :

Sachent tuit que je, Guillaume Le Fevre demourant a Mons en Laonnois, confesse avoir eu et receu des bourgois, gouverneurs et habitans de la ville, citté et paix de Laon, par la main de Jehan Frohen, l’un des gouverneurs et recepveur d’icelle ville, la somme de cent nuef sols et IIII (4) deniers parisis pour la painne et salaire de nous IIII (4) arbalestriers qui avons servi et veillié XLI (41) journeez et nuitiez par le temps de l’effroit qui fut en Quaresme derrain passé, c’estassavoir pour Jehan de Grantcourt dit Maistre d’Ostel, Jehan Denisart, Jehan Chacrisot et moy pour chascun jour et nuit XXXII (32) deniers. De laquelle somme de C IX (109) sols IIII (4) deniers parisis dessus dicte je me tiens pour contens et bien paiez et en quitte ladicte ville, ledit Jehan Frohen et tous autres et promés a aquitter pour et envers mes dis compaignons. Tesmoing mon seel et sing manuel mis a ceste presente quittance faite le XIe (11e) jour d’octobre l’an mil IIIIC et XIIII (1414).

                                                                       G. Fevre

 

Il y a tout juste 600 ans, en l’année 1414, le royaume de France est divisé en deux camps irréconciliables, très tôt désignés sous les appellations d’Armagnacs et de Bourguignons. Ces deux partis luttent pour accéder au pouvoir et contrôler la personne du roi Charles VI, atteint de troubles psychologiques qui l’empêchent de gouverner. Depuis l’été 1413, le parti de Jean sans Peur, duc de Bourgogne, a dû quitter Paris et abandonner le gouvernement au parti adverse mené par Charles duc d’Orléans et son beau-père Bernard comte d’Armagnac. En outre, le roi d’Angleterre Henry V s’apprête à rallumer les feux de la guerre de Cent Ans, profitant de la crise profonde que traverse le royaume de France. Cet état de déliquescence explique les ravages de la guerre civile et préfigure le désastre d’Azincourt en 1415.

 

Le 2 mars 1414, les Armagnacs sont décidés à châtier Jean sans Peur qui tient de nombreuses places en Picardie et en Flandres et le roi lui déclare la guerre. Rapidement, les premières escarmouches éclatent dans le Valois et le Soissonnais, Noyon et Compiègne sont assiégées. Le passage de troupes est toujours redouté par les habitants car il ralentit le commerce et les échanges, et les armées ont la fâcheuse tendance à « vivre sur le pays ». La ville de Laon s’arme en conséquence et, pour éviter d’être assiégée ou prise, accroît la surveillance depuis ses murailles. C’est ainsi qu’elle fait appel à quatre arbalétriers de Mons-en-Laonnois qui participent à la garde pendant 41 jours et nuits, en soutien des guetteurs urbains. La mention de « temps de l’effroit » au moment du Carême 1414 traduit bien l’état de peur dans lequel vit la cité. En guise de paiement, la ville verse aux quatre arbalétriers, par l’intermédiaire de l’un d’eux, Guillaume Le Fèvre, la somme de 109 sous et 4 deniers parisis en rémunération pour leurs bons services. À charge pour lui de partager cette somme avec ses trois compagnons.

 

La mention de ce paiement, tardif car intervenu seulement le 11 octobre suivant, figure dans une petite quittance rédigée sur parchemin. Guillaume Le Fèvre reconnaît avoir été payé par la ville et signe d’une main assez ferme et assurée ce document. Cette quittance sert de preuve à double titre. D’abord, Guillaume Le Fèvre reconnaît que lui et ses compagnons ont été rémunérés. Quant au receveur Jehan Frohen, en charge des finances de la ville, la quittance explique la raison du paiement qu’il a effectué. Le receveur est responsable sur ses propres deniers des finances urbaines et doit donc justifier chaque dépense. Ces quittances et pièces comptables peuvent être alors très prolixes car, tout en servant de justificatif financier, elles éclairent des événements et des faits qu’aucune autre archive ne saurait mentionner.

 

Les pièces comptables étaient dans un second temps retranscrites – parfois partiellement –dans un registre de comptes consignant les recettes et dépenses urbaines. Ensuite, les quittances, factures et mandements étaient la plupart du temps éliminés car désormais jugés sans intérêt une fois les comptes urbains validés. C’est donc par un heureux hasard que ce document nous est parvenu et qu’il permet de mieux connaître les événements militaires intervenus à Laon en cette fin de Moyen Âge.

 

Deux mois après ce « temps d’effroit », le 21 mai 1414, la ville de Soissons alors tenue par les Bourguignons est prise, pillée et ravagée par les troupes armagnaques. Sans doute effrayée du funeste sort subi par sa voisine, Laon ouvre ses portes au roi le 30 mai suivant, s’épargnant du même coup un identique saccage.