Berry-au-Bac, 5 mars 1814

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Après la désastreuse campagne de 1812, qui vit fondre une armée de 600 000 hommes dans les plaines glacées de Russie, Napoléon doit faire face au nationalisme allemand. Malgré les victoires de Lützen (2 mai 1813), de Bautzen (20-21 mai) et de Dresde (26-27 août), la défaite de Leipzig dite « bataille des Nations » (16-19 octobre) oblige les troupes françaises à reculer sur le Rhin. Elles sont acculées au territoire national qui bientôt voit les troupes alliées fouler son sol sacré. Face à ce danger imminent, Napoléon chausse « ses bottes de 93[1]» et avec une poignée d’hommes, dont les « Marie-Louise[2] », mène une campagne mémorable qui n’en finit pas de surprendre.

 

Toute l’Europe, à l’exception du Danemark et de la Turquie, s’est coalisée contre la France. Les armées alliées sont au nombre de trois : l’armée de Bohême sous le commandement du feld-maréchal prince de Schwarzenberg, l’armée de Silésie sous la conduite de Blücher et l’armée du Nord aux ordres de Bernadotte, ancien maréchal d’Empire, pour l’heure prince royal de Suède. En tout, environ 350 000 hommes prêts en entrer en France. En face, Napoléon ne dispose que de 70 000 soldats. Mais avec ces derniers, l’Empereur va accomplir des prodiges.

 

Fin 1813-début 1814, les deux armées principales, celles de Bohême et de Silésie, passent le Rhin, afin d’éviter que Napoléon organise de nouvelles forces, tandis que l’armée du Nord envahit la Belgique. Face à cette menace soudaine, les troupes françaises reculent en s’efforçant de retarder l’avance ennemie. Les armées de Bohême et de Silésie, se dirigent parallèlement vers Paris. L’Empereur perçoit immédiatement le point faible de ce dispositif : il va s’infiltrer entre ces deux armées et essayer de les battre l’une après l’autre.

 

Il se tourne d’abord contre les troupes commandées par Blücher. Victorieux à Brienne, le 29 janvier, Napoléon se maintient difficilement à La Rothière trois jours plus tard, face à un ennemi trois fois supérieur en nombre mais parvient à se dégager à la tombée de la nuit. Les « Marie-Louise » ont combattu avec ténacité et gardent un moral élevé. Les Alliés pensent, à tort, qu’ils n’ont plus rien à craindre de Napoléon et poursuivent leur marche sur Paris, toujours de manière séparée : Blücher par la vallée de la Marne et Schwarzenberg par la vallée de la Seine. Les Français en profitent pour attaquer de nouveau l’armée de Silésie qui s’est séparée en quatre colonnes. Elle est battue à Champaubert le 10 février, à Montmirail le 11, à Château-Thierry le 12 et à Vauchamps le 14[3]. Blücher est contraint de battre en retraite sur Châlons.

 

Entre-temps, l’armée de Bohème continue son avance sur Paris. Elle est près de Fontainebleau. Napoléon laisse l’armée de Silésie sous la surveillance du maréchal Marmont et se porte contre Schwarzenberg qui, battu à Montereau le 18 février, doit repasser la Seine et se replier sur Troyes.

 

Par ailleurs, des renforts ennemis partent de Belgique et arrivent à Laon et à Reims. Apprenant ce nouveau coup du sort, Napoléon laisse l’armée de Bohême sous la garde du maréchal Macdonald afin de se porter de nouveau au devant de l’armée de Silésie avant qu’elle ne fasse sa jonction avec ces renforts. Napoléon protège sa capitale par tous les moyens et additionne les victoires contre des armées supérieures à la sienne grâce à son génie militaire mais aussi grâce à la bonne contenance de ses soldats et à leurs solides jarrets qui leur permettent « d’avaler » les kilomètres et d’être là où les Alliés ne les attendent pas.

 

L’Empereur essaie de prendre en tenaille Blücher entre son armée et la place de Soissons. Mais le général Moreau, qui commande la place, capitule trop tôt et sans une ferme résistance. L’espoir de battre rapidement et définitivement cette armée de Silésie s’évanouit et elle se renforce même des hommes de Bülow, Winzingerode et Woronzov. Néanmoins, Napoléon réussit à passer l’Aisne. C’est dans ce contexte difficile que s’inscrit la lettre que l’Empereur écrit de Berry-au-Bac, le 5 mars au soir, à son ministre de la Guerre, le général Clarke :

 

 

Monsieur le duc de Feltre, je suis arrivé ici à 4 heures après midi. Le corps de Witzingerod (sic) voulait nous empêcher de passer ; mais quand il a vu l’infanterie, il n’a plus laissé que des Cosaques et des Baskirs. Nous avons passé au pas de charge le beau pont que nous avons ici sur l’Aisne. Nous avons pris quelques hommes et 2 pièces de canon. Nous avons pris le Prince Gagarin (sic) qui commandait leur arrière garde. Voilà un petit remède au grand mal que m’a fait la trahison du commandant de Soissons. Sur ce, je prie Dieu qu’il vous ait en Sa Saint (sic) garde.

 

 

Bousculé à Craonne le 7, Blücher se replie sur Laon où Napoléon l’attaque vainement les 9 et 10 mars. Ayant cependant éloigné l’armée de Silésie de la capitale, l’Empereur se retourne contre celle de Bohème. Toutefois, il se rend compte qu’il lui est difficile, voire impossible, de contrecarrer définitivement la marche des troupes coalisées sur Paris. Il décide alors de changer de tactique et de couper leurs lignes de communication. Mais les Alliés négligent Napoléon et se portent sur Paris qui capitule le 31 mars. Quelques jours plus tard, l’Empereur des Français abdique.



[1]. Pour reprendre l’expression de l’Empereur en ce début de campagne de France.

[2]. Le sobriquet « Marie-Louise » est donné aux conscrits des classes 1814 et 1815 appelés par anticipation en 1813 par un décret signé par l’impératrice Marie-Louise.

[3]. C’est la route des quatre victoires.