Le Carnet de la famille du docteur Lallemand

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Durant la seconde moitié du XIXe siècle, les spectres de la dénatalité et de la dégénérescence planent sur la société française. La peur des grands « fléaux sociaux » que sont la tuberculose, l’alcoolisme ou la syphilis se développe en même temps que des mouvements hygiénistes fortement influencés par la théorie de la dégénérescence, à savoir l’idée que certaines tares, acquises par le biais de maladies ou de comportements inadéquats, seraient potentiellement héréditaires[1].

 

Dès lors, la famille est perçue comme un maillon essentiel, amené à assurer la reproduction d’une « race » féconde et saine. Le mariage, sacralisé comme régulateur d’énergie par les médecins, est présenté comme le moyen le plus favorable à un « bon régime sexuel » dont la sagesse serait gage de santé[2].

 

Les médecins, quant à eux, prennent progressivement la place du prêtre, s’instituant comme les gardiens de la santé publique et de la morale sociale. La transformation des mentalités leur apparait comme un moyen bien plus efficace de lutter contre les maladies que le curatif. Dès lors les incursions dans la vie privée vont se multiplier et viser essentiellement les classes laborieuses, que l’on juge inapte à remplir leur rôle, notamment de parent.

 

Le Carnet de la famille du docteur Lallemand, médecin des hospices civils, du dispensaire antituberculeux et des services municipaux de la ville de Château-Thierry en est le parfait exemple. Destiné à être diffusé auprès des personnes venant de faire publier leurs bans de mariage, il fournit une multitude de notions sur l’hygiène, la sexualité, l’alimentation, l’éducation des enfants et adolescents ainsi que la tenue du ménage. Le ton demeure tout au long du texte très moralisateur et alarmiste, allant parfois jusqu’à la caricature, notamment sur le rôle de la femme. Ainsi, l’épouse qui néglige sa toilette ou son ménage devient responsable de l’alcoolisme de son mari. De même, la femme est sommée de rester à son logis et ne doit pas travailler à l’usine, afin de préparer le repas et d’éviter les achats de vêtements. L’adolescent, quant à lui, ne doit pas pratiquer l’onanisme, au risque de préparer le terrain de la tuberculose.

 

On retrouve à travers ce carnet les préoccupations eugénistes d’une époque hantée par le déclin. Les enfants doivent être « sains, robustes et bien constitués » par l’hygiène et l’éducation de leurs parents, afin de « perpétuer l’héritage de santé morale et physique » une fois adultes. La contraception et l’avortement, appelés ici « fraudes sexuelles » sont quant à eux vivement critiqués et accusés de tous les maux (infirmité, cancer, etc.).

 

 



[1]. Jean-François Briefer, Intégration sociale et psychopathologie chez les usagers de drogues, thèse de doctorat en psychologie, sous la direction de Gérard Broyer, Lyon, Université Lumière – Lyon 2, 1999.

[2]. Philippe Ariès et Georges Duby (dir.), Histoire de la vie privée, t. 4 : De la Révolution à la Grande Guerre, Paris, Seuil, 1999.