8 juin 1944, l’attentat manqué de Boué

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Le 8 juin 1944, à 9 h du matin, Gaston Leroy, chef de canton du secteur de la gare de Boué, découvre, sur la ligne menant d’Hirson à Busigny, un inquiétant dispositif à 450 mètres de la gare. Celui-ci semble être destiné à faire exploser les quatre voies ferrées au passage d’un convoi, afin de le faire dérailler. L’employé des chemins de fer en rend immédiatement compte à son supérieur, Henri Lamorère, chef de gare à Boué. Ce dernier prévient la gendarmerie et prend toutes les mesures nécessaires pour éviter un accident.

 

A 10 h, le maréchal des logis chef Van Hecke, de la brigade du Nouvion-en-Thiérache, se met en route en direction de Boué après avoir informé son commandant de section et la feldgendarmerie de Vervins. Sur place, il relève, sur un croquis, un dispositif de douze pétards destiné à enflammer un cordon de mèche Bickford (mèche lente) qui déclenche l’explosion de charges, faites de poudre, afin de briser les rails et faire dérailler le train.

 

Le dispositif est ingénieux, car il permet une mise à feu lors du passage d’un convoi. L’artificier qui le met en place dispose de matériel industriel, comme le cordon Bickford, ce qui suppose une assistance extérieure, laissant penser que ce piège est l’œuvre d’une organisation de Résistance disposant de l’aide alliée.

 

Cependant, malgré la sophistication du procédé, l’attentat échoue. Cela tient avant tout à un manque de chance. Le dispositif est découvert par un agent des chemins de fer zélé avant le passage d’un train. Toutefois, de nouvelles tentatives sont mises en œuvre pour couper cette ligne.

 

Ainsi, le 12 juin, puis le 13, de nouvelles actions sont menées pour couper la voie entre Hirson et Busigny. Le 14, deux opérations ont lieu le même jour et le 16 ce ne sont pas moins de quatre actions qui sont menées contre la ligne de chemin de fer reliant la frontière belge à l’axe Paris-Lille. Au total, durant le mois de juin, la ligne Hirson-Busigny est l’objet de 17 attentats, ce qui représente 1/6e des actes de malveillance (sabotages, attentats, bombardements, attaques de postes, attaques de services publics ou para publics) contre l’occupant dans le département de l’Aisne. Ce ratio démontre une certaine vitalité des réseaux de saboteurs dans le nord du département, et l’intérêt qu’ils portent à cette ligne pourtant secondaire.

 

Dans l’Aisne, selon les rapports des forces de l’ordre, les actions de sabotage pour le mois de juin sont au nombre de 105. Elles sont en nette augmentation par rapport aux mois précédents. Les cinq premiers jours sont tranquilles (3 actions), mais dès les 6 et 7 juin la Résistance multiplie les opérations. Le 7, 18 actes de malveillance sont répertoriés. Les 6 et 7 juin sont aussi les premiers jours de l’opération Overlord et les forces alliées ont demandé aux résistants de désorganiser au maximum les liaisons sur le territoire français. Elles espèrent ainsi ralentir l’arrivée de renforts de la Wehrmacht susceptibles de faire échouer le débarquement.

 

Entre les 14 et 20 juin, une nouvelle vague d’actions agite l’Aisne. Les réseaux de Résistance se mobilisent pour fixer les troupes du Reich en arrière des combats et pour couper les communications. La ligne Hirson-Busigny, qui concentre la majorité des attentats, paraît d’une importance supérieure. Cependant, à la fin du mois, l’action des résistants se reporte sur les voies reliant Hirson à Laon. Ces actes, relevés par la gendarmerie et la police française, ne donnent que rarement lieu à des arrestations et des poursuites. Les fonctionnaires français semblent faire leur travail, en restant prudent face à l’occupant. Cependant, ils mènent les enquêtes avec assez peu de zèle, ne relevant presque jamais d’indice. Aussi, malgré les échecs, comme celui du 8 juin, et les effets très limités de certaines actions, la Résistance contribue d’une manière non négligeable à la première marche de la libération du territoire national.

 

Les opérations de la Résistance dans l’Aisne sont la résonance locale d’un phénomène qui a lieu sur l’ensemble du territoire français. Le harcèlement finira par excéder les troupes allemandes dont certaines unités, parmi les plus fanatisées, commettront des crimes terribles à Oradour-sur-Glane ou à Tavaux-et-Pontséricourt. Mais le débarquement est une réussite, et aux premiers jours de l’automne, l’Aisne toute entière retrouve sa liberté.

 

Cette liberté recouvrée, nous en fêtons cette année et l’année prochaine le soixante-dixième anniversaire. Nous la devons, bien sûr, aux GI’s téméraires débarquant sur les plages de Normandie. Mais le sang, la sueur et les larmes de ces combattants venus d’outre Atlantique pour mettre fin à la barbarie nazie auraient été d’avantage répandus sans le courage et l’engagement, au péril de leur vie et de celle de leur proches, de quelques poignées d’hommes et de femmes de conviction. Malgré les différences de leurs idées, de leur croyance, de leur engagement, qui ne tarderont pas à les séparer, cette aurore du mois de juin 1944 a réuni, dans un même espoir fou de Liberté, chacun des hommes et des femmes de cette armée de l’ombre qui se battait depuis des mois et des années dans la nuit de la défaite.