Les dossiers d’affaires correctionnelles, de l’histoire judiciaire à l’histoire sociale

img_compressee_5150_1.jpg
img_compressee_5151_1.jpg
img_compressee_5152_modifie_1_1.jpg

Voir toutes les images (3)

 

La structure actuelle de l’administration judiciaire est un héritage des institutions créées par la Révolution française qui se veulent plus égalitaires et indépendantes de tout pouvoir. Ces institutions n’évoluent guère jusque la réforme de 1958 qui réorganise l’ordre judiciaire. Si certains tribunaux voient leur dénomination modifiée, leurs attributions ne connaissent pas pour autant de réels changements.

 

Parmi ces institutions, on trouve le tribunal de première instance qui succède au tribunal de district de la période révolutionnaire. Créé par la loi du 27 ventôse an VIII, il siège au chef-lieu d’arrondissement. Il connaît à la fois des procès en matière civile et correctionnelle et constitue une instance d’appel pour les jugements rendus par les justices de paix. Organisé en plusieurs chambres spécialisées, plus ou moins nombreuses selon l’importance du tribunal, les juges connaissent tous les types d’affaires grâce à un système de roulement. En outre, des juridictions spécialisées peuvent exister tels que le tribunal pour enfants créé en 1912, le tribunal  des pensions et la commission des dommages de guerre issus de la Grande Guerre, le tribunal paritaire des baux ruraux créé en 1943 ou encore le tribunal d’expropriation.

 

Le fonds du tribunal de première instance de Vervins reflète l’organisation et l’activité du tribunal, essentiellement après la Première Guerre mondiale. Une première partie administrative est composée par les actes d’administration interne avec notamment les dossiers du personnel et des auxiliaires de justice, les actes d’administration externe avec en particulier des documents ayant trait à l’état et à la capacité des personnes et enfin l’enregistrement, le constat et le dépôt d’actes parmi lesquels on retrouve les actes de société ou encore de succession. Une deuxième partie est consacrée aux actes judiciaires civils qu’ils soient de nature contentieuse, gracieuse ou amiable ainsi qu’aux différentes procédures (enquêtes, expertise,…). La troisième partie concerne le greffe correctionnel tandis que la quatrième s’attarde sur les juridictions spécialisées.

 

En matière pénale, le tribunal de première instance juge tous les délits, c’est-à-dire toutes les infractions pour lesquelles les peines prévues dépassent celles infligées par le tribunal de simple police. Les affaires sont portées devant le tribunal suite à un dépôt de plainte  par un particulier ou par une administration dont le règlement est enfreint. Les affaires correctionnelles sont traduites par trois types de procédures : l’instruction, la citation directe et le flagrant délit.

 

L’instruction a pour objectif de rassembler un ensemble d’éléments relatifs à l’existence ou non d’une infraction, à ses éventuels auteurs et aux circonstances dans lesquelles elle a été commise. Elle est confiée au juge d’instruction par le procureur de la République. Afin de mener à bien ses investigations, le juge peut ordonner tout acte utile à la manifestation de la vérité : perquisition, saisie, interrogatoire, confrontation, audition de témoins, expertise,… Il a également un pouvoir de coercition qui lui permet de prononcer des mises en examen et de délivrer des mandats visant à la recherche, la comparution ou l’arrestation d’un individu.

 

La citation directe est une procédure qui permet à la victime ou au ministère public de saisir directement le tribunal. Le plaignant doit donc disposer d’éléments suffisants pour prouver la culpabilité de l’auteur, sans enquête préalable du juge d’instruction ou du procureur.

 

Le flagrant délit vise à une réaction pénale rapide pour mettre fin au trouble causé par l’infraction et pour conserver les preuves. Elle concerne des délits ou des crimes en train d’être commis ou qui viennent d’avoir lieu.

 

Si les dossiers d’affaires correctionnelles peuvent apparaître répétitifs au vu des différents chefs d’inculpation (vol, escroquerie, contrebande, coups et blessures,…), ils sont d’une grande richesse pour appréhender la réalité sociale quotidienne de l’époque. Illustration du comportement délinquant dans un contexte donné, ils fournissent, par leur description des lieux, des faits, des gestes et l’enregistrement de la parole des prévenus et témoins, des éléments d’appréciation sur les relations entre les populations et la justice et ses agents et plus largement sur les rapports sociaux en général.

 

Ces dossiers sont constitués de pièces formelles indispensables au fonctionnement de la machine judiciaire tels que les procès-verbaux, les rapports, les réquisitoires, etc. Ils sont également porteurs d’éléments originaux, de pièces informelles qui font preuve des préjudices causés comme des photos, des papiers d’identité, des livrets d’ouvriers, des témoignages ou de la correspondance privée. Parfois, ce sont même des objets. Ainsi, lorsqu’une plainte est déposée pour un vol de robe auprès du procureur de la République de Vervins en mars 1941, la plaignante apporte des échantillons de tissus autant comme une aide pour l’investigation que comme preuve en cas de contestation d’un éventuel accusé. Dans une affaire de coups et blessures réciproques en 1929 à la sortie d’un café à Effry, c’est un cure-ongle qui est joint au dossier, apporté comme pièce à conviction par la personne qui s’en est servie pour poignarder son rival.

 

De l’archive administrative à l’archive sensible, les dossiers d’affaires correctionnelles des tribunaux de première instance ont encore beaucoup d’informations à offrir autant pour écrire l’histoire judiciaire d’un territoire que pour en dresser un portrait social.